« Bonjour à tous,
Il est 21 h 07, je suis ici lundi soir, et je me mets enfin à ma chronique. Nouveauté que cette chronique : elle entend couvrir mes deux dernières semaines. C’est la première fois depuis que je suis au Cambodge que je réunis sur un seul et même papier quinze jours de ma vie locale : ma semaine dernière ne m’aura pas laissé le temps de bloguiser mes aventures. Je vais tâcher de ne rien oublier, mais je ne vous garantis rien.
Quid de ma 23e semaine ? Pardon d’aller si vite, mais le samedi, j’étais invité au mariage de la soeur de Sat. Sat est responsable d’un programme de sensibilisation à l’hygiène et à la culture khmère et entre au séminaire en septembre prochain. Ses parents habitent au bout du monde : douze kilomètres de piste à travers les rizières, et leur maison surgit de nulle part, gardée par une légion de palmiers à sucre. Là, nous avons eu droit à un mariage dans la plus pure tradition khmère (toute sa famille est bouddhiste). Arrivés là-bas à 17 h, nous nous sommes goinfrés de plats variés et ô combien délicieux, avant d’enchaîner quelques pas de danse, qui restent sages à côté de ceux auxquels j’ai été initié plus jeune. Seul Blanc de l’assistance, j’ai du mal à m’y fondre. Il n’empêche : c’est super. Les gens sont supers. Dimanche, comme j’en ai pris un peu l’habitude maintenant, je vais me baigner dans le Mékong, et constate une fois encore que Kompong Cham est une ville où il fait bon vivre. Je me balade sur les bancs de sable, où se reposent jusqu’à la prochaine saison des pluies quelques trésors : vieux bouts de porcelaines, chaussures, et autres vieilleries, et même une bombe, sans doute larguée par un B-52 états-unien au début des années 70 (la région de Kompong Cham, où des Viêt-Congs s’étaient réfugiés, n'a pas échappé à la pluie de bombes qui tapissa le Cambodge de 1969 à 1973 et tua près de 250 000 Cambodgiens, civils ou non). Dans l’après-midi, avec toute une bande de joyeux lurons membres de la Société Saint-Vincent-de-Paul, nous procédons à l’« opération nettoyage des berges du Mékong » ; le principe est simple : pendant deux heures, on fait des tas de poubelles bazardées là par ceux qui n’ont pas forcément de quoi payer le ramassage des ordures, et on brûle le tout. Le nuage de fumée nous fait évidemment repérer, mais c’est super. Le soir, dans la lancée des semaines précédentes, je projette un film sur un des murs de la grande salle du bas, à l’évêché. Cette fois-ci, ce sera "Le tombeau des lucioles", dessin animé réalisé en 1988 par le Japonais Isao Takahata, et qui raconte la triste histoire de Setsuko et Seita, deux enfants perdus dans la guerre finissante, en 1945. Tout le monde n’a pas accroché, mais le film n’en demeure pas moins beau.
Je passe donc à ma 24e semaine. Lundi et mardi, Primprey (ma collègue khmère) et moi nous attelons à préparer la réunion presbytérale programmée pour le mercredi. Une fois par mois, Mgr rassemble les prêtres, soeurs et autres responsables du diocèse pour un débriefing sur les projets en cours ou prévus. Pour une fois, la réunion n’était pas à Kompong Cham : nous nous réunissions à Suong, à une quarantaine de kilomètres d’ici, de l’autre coté de la plantation Chup. Après le déjeuner, nous partons en groupe sur les traces d’une église construite en 1955 pour les ouvriers vietnamiens catholiques de la plantation et bombardée par les Américains. Seul le clocher subsiste. Décor de film que cette petite silhouette. Ensuite, nous passons voir ce qu’il reste d’une grotte de Lourdes. Autrefois, il y avait là une autre église. Détruite elle aussi, une pagode a été depuis construite en lieu et place ; si la grotte a été conservée, elle a été réaffectée depuis au culte bouddhiste. La Vierge y est désapparue.
Les ruines de l'église.
Dans la grotte.
Devant la pagode (qui a remplacé l'église).
Jeudi matin, je file à Phnom Penh pour y accueillir une amie, jusque là volontaire MEP en Chine pendant deux mois, et en vadrouille ces temps-ci dans la région avec une de ses amies de Paris. D’abord, je retrouve Dimitri, Charles et mes autres compères à la maison des coopérants. Ensuite, direction l’ambassade de France devant laquelle j’ai donné rendez-vous à Clémence et Clothilde. Nous passons déjeuner au Sorya, du haut duquel la vue donne un bon aperçu de la capitale. Le soir, nous allons donner un coup de main à Philibert et à d’autres pour le dîner mensuel des enfants des rues. Rendez-vous fixé à 18 h devant le Palais Royal. Le principe est simple : nous embarquons une cinquantaine d’enfants en touk-touk et les emmenons dîner dans un resto un peu plus loin. C’est super. Dans un joyeux bazar, les yeux écarquillés, les gamins se partagent un repas. Curieusement, il pleut à torrents.
Ensuite, nous passons au Memphis, le bar d’expats sur le quai Sisowath où nous avons nos habitudes.
Vendredi matin, j’accompagne ces demoiselles visiter Tuol Sleng, l’ancienne école transformée en centre de torture par les Khmers Rouges et en Musée du génocide par les Vietnamiens, et dont je vous ai déjà maintes fois parlé (lire ici). Ensuite, nous passons au Vat Ounalom, le siège du patriarcat bouddhiste du Cambodge, et où, comme la dernière fois, on se fait gratouiller la main par un achar devant la relique du cil du Bouddha (lire ici).
Le soir, c’est la messe mensuelle des coopérants. Comme à l’accoutumée, nous commençons par un partage d’évangile. Ce soir, le thème est "le sel de la terre et la lumière du monde". Sous la présidence de Dimitri, nous nous prêtons au jeu, et c’est réussi. Après la messe, pizzas party avec toute la troupe. Rien à redire : c’est super.
Samedi matin, nous nous levons aux aurores pour aller servir le petit déjeuner à PSE, une ONG fondée par un couple de retraités franciliens et qui aide les enfants de la décharge à sortir de la misère. A la queue leu leu, les enfants, tous beaux, attendent sagement leur assiette de riz et de poisson grillé avant de s’asseoir autour de petites tables à leur échelle. C’est super.
A la queue leu leu.
Antoine et Clothilde en service.
Le p'tit déj'.
Trouvaille.
Après, nous passons faire un tour sur la décharge où des gens s’activent à récupérer tout ce qui est récupérable. Cet amoncellement de déchets a des airs d’apocalypse lunaire.
Au fond, la décharge.
Sur la décharge.
Antoine et son air dégoûté.
Samedi soir, en compagnie de Lackéna, une khmère ancienne élève à PSE, Charles, Dimitri, Clémence, Clotilde et moi dînons au "Thaï & Khmer", un resto un peu guindé où il fait un froid de gueux, du fait, comme bien souvent sous ces latitudes, d’une climatisation trop généreuse.
Au "Thaï & Khmer", avec ma serviette en guise d'écharpe.
Sortie de resto.
Ensuite, retour à la maison des coopérants pour une partie de tarot, avec saucisson et comté apportés par les parents d’Antoine et Bourgogne apporté par les parents de Philibert. C’est super.
Dimanche matin, Clémence et Clothilde quittent Phnom Penh pour Siem Reap. L’après-midi, passage avec Dimitri à la piscine de l’hôtel Plazza. Vue l’heure, je ne rentrerai à Kompong Cham que demain matin, de quoi profiter encore un peu de ce super week-end.
Je m’arrête là.
Et bien sûr : la pensée de la semaine : "Les hommes ne servent à rien, si ce n’est, à l’heure actuelle, à reproduire l’espèce." (Michel Houellebecq). A la semaine prochaine ! »
Retour en arrière:
Avec Sat.
Baignade dans le Mékong.
Dans mon bateau de fortune...
Mon bureau:
La porte d'entrée.
Mon bureau.
Le carrelage.
Compter les sous.
Hoouuuuu...
Tuesday, January 29, 2008
Thursday, January 17, 2008
Semaine 22 : la mâchoire qui tombe.
« Bonjour à tous,
22 semaines. Plein la tête. Plein les yeux. Plein le coeur : me voilà plein. Et me voilà tout court. Je me réattelle à mon clavier, en rapporteur d’aventures, poussé par le vent des souvenirs. Je m’envole quelque part sur la Terre. De haut, c’est beau.
Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, le calme des grèves me porte. Et je poursuis ma route, sans trop d’embûches. Mon cours d’Anglais quotidien continue d’animer ma vie de bureau. Cette semaine, c’est décidé, je rétrograde ; exit les Beatles et leur "Let it be" intraduisible (ou alors ça donnerait quelque chose comme "Tok aoï avaï avaï teu tam dom’naeu" -mais pas sûr-) : je passe à la vitesse comptine pour enfants. Apparemment, c’est plus simple.
Samedi, Dimitri débarque à Kompong Cham. Après le déjeuner, nous voilà partis avec Primprey (avec qui je partage mon bureau), Sat (bientôt séminariste) et la fille d’une des cuisinières sur l’île d’en face, pour un après-midi plage. C’est plutôt réussi : nous tentons de nager jusqu’au pont de Kompong Cham (le seul à enjamber le Mékong cambodgien), à 1500 mètres de là, mais le courant rend nos efforts vains : le Mékong continue de se vide et ça pousse fort.
En haut du pont.
À 6 heures, nous voilà tous partis pour le dîner annuel du staff de Kompong Cham, direction un resto plutôt confortable à deux kilomètres au delà du Mékong. Chacun était chargé d’apporter un cadeau et de le déposer sur une table. À la fin du dîner (expédié en à peine une heure : les Cambodgiens n’ont pas le goût de la table, c’est le moins que l’on puisse dire), on tire un numéro et on prend le cadeau correspondant. Pour ma part, ce sera une lampe de poche, qui m’a du reste déjà été utile : l’électricité saute de temps en temps dans ces contrées. Après le dîner, nous allons prendre un pot chez l’Anglais du front de fleuve où nous retrouvons deux kinés françaises venues prendre la relève du docteur franco-nivernais dont je vous ai parlé en décembre (lire ici).
Dimanche, je réitère l’expérience Cinéma paradiso, mais cette fois, c’est moi qui choisis le film en faisant fi des influences extérieures : ce sera Charlie Chaplin, qui a ce mérite de ne demander aucune traduction (du moins pour les films muets au programme) et d’être, avec ses airs de clown triste, un personnage attachant, moral et clairvoyant. Tout le monde est plié et une des spectatrices s’écrie même en avoir la mâchoire qui se décroche. Merci Monsieur Chaplin !
Chaplin et Jackie Coogan, dans The Kid (1921).
Et voilà pour la semaine. C’est passé vite, comme d’habitude. Pardonnez-moi, mais je ne m’étale pas plus ce soir.
Je n’en n’oublie pas pour autant la pensée de la semaine : "Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort." (Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes). »
(autres photos)
Devant la résidence royale de Siem Reap.
Le petit plus : la photo transite... (toujours devant la résidence royale de Siem Reap) [merci de rire].
22 semaines. Plein la tête. Plein les yeux. Plein le coeur : me voilà plein. Et me voilà tout court. Je me réattelle à mon clavier, en rapporteur d’aventures, poussé par le vent des souvenirs. Je m’envole quelque part sur la Terre. De haut, c’est beau.
Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, le calme des grèves me porte. Et je poursuis ma route, sans trop d’embûches. Mon cours d’Anglais quotidien continue d’animer ma vie de bureau. Cette semaine, c’est décidé, je rétrograde ; exit les Beatles et leur "Let it be" intraduisible (ou alors ça donnerait quelque chose comme "Tok aoï avaï avaï teu tam dom’naeu" -mais pas sûr-) : je passe à la vitesse comptine pour enfants. Apparemment, c’est plus simple.
Samedi, Dimitri débarque à Kompong Cham. Après le déjeuner, nous voilà partis avec Primprey (avec qui je partage mon bureau), Sat (bientôt séminariste) et la fille d’une des cuisinières sur l’île d’en face, pour un après-midi plage. C’est plutôt réussi : nous tentons de nager jusqu’au pont de Kompong Cham (le seul à enjamber le Mékong cambodgien), à 1500 mètres de là, mais le courant rend nos efforts vains : le Mékong continue de se vide et ça pousse fort.
En haut du pont.
À 6 heures, nous voilà tous partis pour le dîner annuel du staff de Kompong Cham, direction un resto plutôt confortable à deux kilomètres au delà du Mékong. Chacun était chargé d’apporter un cadeau et de le déposer sur une table. À la fin du dîner (expédié en à peine une heure : les Cambodgiens n’ont pas le goût de la table, c’est le moins que l’on puisse dire), on tire un numéro et on prend le cadeau correspondant. Pour ma part, ce sera une lampe de poche, qui m’a du reste déjà été utile : l’électricité saute de temps en temps dans ces contrées. Après le dîner, nous allons prendre un pot chez l’Anglais du front de fleuve où nous retrouvons deux kinés françaises venues prendre la relève du docteur franco-nivernais dont je vous ai parlé en décembre (lire ici).
Dimanche, je réitère l’expérience Cinéma paradiso, mais cette fois, c’est moi qui choisis le film en faisant fi des influences extérieures : ce sera Charlie Chaplin, qui a ce mérite de ne demander aucune traduction (du moins pour les films muets au programme) et d’être, avec ses airs de clown triste, un personnage attachant, moral et clairvoyant. Tout le monde est plié et une des spectatrices s’écrie même en avoir la mâchoire qui se décroche. Merci Monsieur Chaplin !
Chaplin et Jackie Coogan, dans The Kid (1921).
Et voilà pour la semaine. C’est passé vite, comme d’habitude. Pardonnez-moi, mais je ne m’étale pas plus ce soir.
Je n’en n’oublie pas pour autant la pensée de la semaine : "Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort." (Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes). »
(autres photos)
Devant la résidence royale de Siem Reap.
Le petit plus : la photo transite... (toujours devant la résidence royale de Siem Reap) [merci de rire].
Partir avec les MEP: en voilà une idée qu’elle est bonne !
Avec déjà quelques mois de Kompong Cham dans les pattes, je m’autorise à condenser en quatre points ce qu’est partir en mission avec les MEP :
1) servir à quelque chose.
2) aider les autres et l’Eglise.
3) devenir.
4) découvrir que le bonheur est plus simple que prévu.
Pour cela, deux options :
1) Volontariat courte durée (moins d’un an).
2) Volontatariat longue durée (de un à deux ans), avec le statut propre au VSI (Volontariat de Solidarité Internationale).
Et sachez-le : le volontariat, fût-ce avec les MEP, n'a rien d'exclusif, et n'est pas réservé à une catégorie d'individus. Et si vous pensez que c'n'est pas fait pour vous, détrompez-vous : il suffit de se bouger un peu l'c.. ! Et je vous assure: ça fait du bien !
1) servir à quelque chose.
2) aider les autres et l’Eglise.
3) devenir.
4) découvrir que le bonheur est plus simple que prévu.
Pour cela, deux options :
1) Volontariat courte durée (moins d’un an).
2) Volontatariat longue durée (de un à deux ans), avec le statut propre au VSI (Volontariat de Solidarité Internationale).
Et sachez-le : le volontariat, fût-ce avec les MEP, n'a rien d'exclusif, et n'est pas réservé à une catégorie d'individus. Et si vous pensez que c'n'est pas fait pour vous, détrompez-vous : il suffit de se bouger un peu l'c.. ! Et je vous assure: ça fait du bien !
Friday, January 11, 2008
Semaine 21: Eminentissimum ac Reverendissimum Dominum.
« Bonjour à tous.
Je fais bref : le temps presse. Ma première semaine de l’année aura été assez agitée. Mardi 1er janvier, retour de Phnom Penh. Mercredi matin, je raccompagne Dimitri en moto à Prey Veng, à 80km au sud de Kompong Cham. C’est curieux, mais il fait un froid de gueux : 22ºC... Au guidon, face au vent, je grelotte. Le paysage défile à toute berzingue, et le Cambodge, allongé de chaque côté de la route, se repose de ses années de tourmente.
Jusqu’à vendredi, vie de bureau, et cours d’Anglais à Phum Thmey, comme d’habitude.
Quelques uns de mes élèves .
© Père François Hemelsdael.
Jeudi, Mgr part à Phnom Penh accueillir le Cardinal Martino, venu notamment présenter le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise (dont il est l’instigateur). Je suis pour ma part prié de venir dimanche matin à Phnom Penh pour la dédicace de la nouvelle église paroissiale de Bang Tang Poung ( ?), sous la présidence dudit cardinal.
En attendant, samedi, le Père François et moi avions prévu d’emmener les gamins de Phum Thmey se promener sur l’île en face de Kompong Cham, accessible ces temps-ci via un pont de bambou, et pour laquelle je vous renvoie à ma dernière chronique. La sortie avait des airs de bord de mer. A cette époque de l’année, le Mékong est au plus bas ou presque, et ses fonds sablonneux offrent aux badauds de pouvoir s’y sentir à la plage. Baignade pour tout le monde. Et tout le monde est ravi.
Le pont de bambou depuis Kompong Cham.
Sur le pont de bambou.
Une partie de la bande.
Seul au monde.
16h : retour à l’évêché, pour, entre autres, préparer la salle de cinéma. Ce soir, je tente un truc : projeter sur un mur un film pour les jeunes des deux centres que l’Eglise tient à Kompong Cham (11 garçons et 11 filles y logent à l’année pour y poursuivre leur scolarité). J’avais mes idées pour le film, mais des influences extérieures m’ont finalement fait choisir un film qui ne casse pas des briques : « Joyeux Noël », de Christian Carion. Bon. Si l’histoire racontant le Noël partagé entre Allemands et Français sur les champs de bataille de la Marne en 1914 n’a en soi rien d’effrayant, globalement, le film n’est pas envoûtant, loin de là. Bref. N’en parlons plus. Quoiqu’il en soit, je pense retenter cette expérience aux airs de Cinema Paradiso.
Dimanche matin : départ à 5h pour Phnom Penh, avec le minibus à peu près rempli. Je conduis une bonne partie du trajet, et me tape même le boulevard Monivong, l’artère principale de la capitale cambodgienne, surchargée à cette heure-ci. Passage à la maison des coopérants où je retrouve une bonne partie de la bande, dont Antoine, Charles, Philibert et Dimitri, puis direction Bang Tang Poung, à un quart d’heure à pied. Il y a foule. Pensez-vous : un cardinal... Le nonce apostolique, le vicaire apostolique, et les deux préfets apostoliques du Cambodge. Le gratin. Le Royaume a même mis à disposition de Son Eminence une voiture officielle, avec motard de tête. La veille, le Ministre des cultes l’avait reçu dans ses ors. Voilà des signes qui ne trompent pas sur la bienveillance des autorités cambodgiennes à l’endroit de l’Eglise catholique, dont la générosité n’est ici un secret pour personne. Après la messe, un déjeuner assis est servi à qui veut ou presque. Les petits plats dans les grands. Rien à redire : c’est bon.
Epiphanie oblige, le soir, un dîner est offert, mais cette fois-ci à l’évêché, sur Monivong boulevard. Que c’est bon ! Etrangement, rien de cambodgien dans nos assiettes. Y a-t-il eu des consignes pour le cardinal ? Bref. Ce boeuf à couper à la fourchette sur un Haut-Brion 1993 est à se lécher les babines. La galette des rois de circonstance avalée, Son Eminence fait le tour des tables pour distribuer des images de Benoît XVI, rappelant Hubert Bonisseur de La Bath et ses images du Président Coty. Diplomate de carrière, ancien Représentant permanent du Saint-Siège à l’ONU, le Président du Conseil Pontifical Justice et Paix est fort sympathique. Sa carrure de prélat romain lui va à ravir, et sa bonhomie lui offre d’être étrangement accessible.
Pardonnez-moi d’empiéter sur ma 22e semaine, mais je préfère boucler mon week-end prolongé maintenant ; le 7 janvier est ici chômé, en souvenir de la chute des Khmers Rouges en 1979, et a fortiori de l’installation des Vietnamiens dans le pays... Petit tour au marché russe, avant d’aller grignoter au Sorya, avec vue magnifique sur Phnom Penh, qui fut parait-il « la perle de l’Asie » dans les années 20. Après le déjeuner, retour en province. Et voilà. A la semaine prochaine.
La pensée de la semaine : "Ce n’est point dans l’objet que réside le sens des choses, mais dans la démarche", Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle. »
Eing, l'homme à tout faire à l'évêché.
Tieu, Tié, Tâ, Pol: les enfants des cuisinières.
Sokheng et Sokcheat, deux des trois cuisinières de l'évêché.
A gauche, la porte de mon bureau.
Je fais bref : le temps presse. Ma première semaine de l’année aura été assez agitée. Mardi 1er janvier, retour de Phnom Penh. Mercredi matin, je raccompagne Dimitri en moto à Prey Veng, à 80km au sud de Kompong Cham. C’est curieux, mais il fait un froid de gueux : 22ºC... Au guidon, face au vent, je grelotte. Le paysage défile à toute berzingue, et le Cambodge, allongé de chaque côté de la route, se repose de ses années de tourmente.
Jusqu’à vendredi, vie de bureau, et cours d’Anglais à Phum Thmey, comme d’habitude.
Quelques uns de mes élèves .
© Père François Hemelsdael.
Jeudi, Mgr part à Phnom Penh accueillir le Cardinal Martino, venu notamment présenter le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise (dont il est l’instigateur). Je suis pour ma part prié de venir dimanche matin à Phnom Penh pour la dédicace de la nouvelle église paroissiale de Bang Tang Poung ( ?), sous la présidence dudit cardinal.
En attendant, samedi, le Père François et moi avions prévu d’emmener les gamins de Phum Thmey se promener sur l’île en face de Kompong Cham, accessible ces temps-ci via un pont de bambou, et pour laquelle je vous renvoie à ma dernière chronique. La sortie avait des airs de bord de mer. A cette époque de l’année, le Mékong est au plus bas ou presque, et ses fonds sablonneux offrent aux badauds de pouvoir s’y sentir à la plage. Baignade pour tout le monde. Et tout le monde est ravi.
Le pont de bambou depuis Kompong Cham.
Sur le pont de bambou.
Une partie de la bande.
Seul au monde.
16h : retour à l’évêché, pour, entre autres, préparer la salle de cinéma. Ce soir, je tente un truc : projeter sur un mur un film pour les jeunes des deux centres que l’Eglise tient à Kompong Cham (11 garçons et 11 filles y logent à l’année pour y poursuivre leur scolarité). J’avais mes idées pour le film, mais des influences extérieures m’ont finalement fait choisir un film qui ne casse pas des briques : « Joyeux Noël », de Christian Carion. Bon. Si l’histoire racontant le Noël partagé entre Allemands et Français sur les champs de bataille de la Marne en 1914 n’a en soi rien d’effrayant, globalement, le film n’est pas envoûtant, loin de là. Bref. N’en parlons plus. Quoiqu’il en soit, je pense retenter cette expérience aux airs de Cinema Paradiso.
Dimanche matin : départ à 5h pour Phnom Penh, avec le minibus à peu près rempli. Je conduis une bonne partie du trajet, et me tape même le boulevard Monivong, l’artère principale de la capitale cambodgienne, surchargée à cette heure-ci. Passage à la maison des coopérants où je retrouve une bonne partie de la bande, dont Antoine, Charles, Philibert et Dimitri, puis direction Bang Tang Poung, à un quart d’heure à pied. Il y a foule. Pensez-vous : un cardinal... Le nonce apostolique, le vicaire apostolique, et les deux préfets apostoliques du Cambodge. Le gratin. Le Royaume a même mis à disposition de Son Eminence une voiture officielle, avec motard de tête. La veille, le Ministre des cultes l’avait reçu dans ses ors. Voilà des signes qui ne trompent pas sur la bienveillance des autorités cambodgiennes à l’endroit de l’Eglise catholique, dont la générosité n’est ici un secret pour personne. Après la messe, un déjeuner assis est servi à qui veut ou presque. Les petits plats dans les grands. Rien à redire : c’est bon.
Epiphanie oblige, le soir, un dîner est offert, mais cette fois-ci à l’évêché, sur Monivong boulevard. Que c’est bon ! Etrangement, rien de cambodgien dans nos assiettes. Y a-t-il eu des consignes pour le cardinal ? Bref. Ce boeuf à couper à la fourchette sur un Haut-Brion 1993 est à se lécher les babines. La galette des rois de circonstance avalée, Son Eminence fait le tour des tables pour distribuer des images de Benoît XVI, rappelant Hubert Bonisseur de La Bath et ses images du Président Coty. Diplomate de carrière, ancien Représentant permanent du Saint-Siège à l’ONU, le Président du Conseil Pontifical Justice et Paix est fort sympathique. Sa carrure de prélat romain lui va à ravir, et sa bonhomie lui offre d’être étrangement accessible.
Pardonnez-moi d’empiéter sur ma 22e semaine, mais je préfère boucler mon week-end prolongé maintenant ; le 7 janvier est ici chômé, en souvenir de la chute des Khmers Rouges en 1979, et a fortiori de l’installation des Vietnamiens dans le pays... Petit tour au marché russe, avant d’aller grignoter au Sorya, avec vue magnifique sur Phnom Penh, qui fut parait-il « la perle de l’Asie » dans les années 20. Après le déjeuner, retour en province. Et voilà. A la semaine prochaine.
La pensée de la semaine : "Ce n’est point dans l’objet que réside le sens des choses, mais dans la démarche", Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle. »
Eing, l'homme à tout faire à l'évêché.
Tieu, Tié, Tâ, Pol: les enfants des cuisinières.
Sokheng et Sokcheat, deux des trois cuisinières de l'évêché.
A gauche, la porte de mon bureau.
Friday, January 4, 2008
Semaine 20 : le chant des siècles.
« Bonjour à tous,
Il est minuit moins dix et je suis ici mercredi soir. Mon lit m’appelle. Il hurle dans la nuit silencieuse. Je l’envoie paître. Pour sauver mes aventures, je me laisse une fois encore porter par les mots et leur force narrative.
J’ai beau me rappeler vous avoir dit que le Petit Jésus avait été prématuré cette année, je ne sais plus très bien où j’en étais resté. Peu importe. Si mon Noël 2007 n’aura pas eu la couleur habituelle, il aura été beau. Étrangement calme aussi. Mardi soir à Kompong Cham, la lune était pleine. Elle était belle. J’ai dîné avec Sokhim, les cuisinières et leurs enfants. Et j’ai aimé ce réveillon, loin des artifices. Je l’ai aimé : il n’avait rien d’un réveillon. Pour marquer le coup, faillant tout gâcher, j’ai distribué quelques cadeaux, avant d’aller voir le reflet de la lune dans le Mékong et de cracher au passage un Merry Christmas à l’Anglais qui tient un pub en front de fleuve.
Mercredi 25, jour de Noël, cours d’Anglais à Phum Thmey, avec une chanson de circonstance et pour mes élèves un petit cadeau pour les remercier. Chaque jour, je les remercie d’être ma cure de jouvence. Je les remercie d’être mon étoile du berger. De me montrer ce chemin sur lequel je me sens un peu mieux chaque jour.
Jeudi 26, dans l’après-midi, l'ami Dimitri est arrivé de sa province voisine, et nous voilà partis visiter l’île en face de Kompong Cham. Comme chaque année à la saison sèche, ce drôle de navire est amarré à la ville par un pont de bambou épatant, démonté à la saison des pluies. Avec ses airs de Mongolie et ses champs qui rappellent la Beauce, l’île donne cette impression étrange d’être ailleurs.
Dans les steppes insulaires.
Vendredi matin, départ en bus pour Siem Reap, la ville jouxtant Angkor, à 350 km au nord-ouest de Kompong Cham. Panique : sur la route, des chiées d’autocars remplis de touristes ne nous annoncent rien qui vaille. Une halte forcée dans un bouiboui de bord de route hors de prix aura failli nous achevés. Voir tous ces ventripotents se précipiter sur tout ce qui se vend est assez déconcertant. Advienne que pourra, nous poursuivons notre route. Siem Reap, id est « Siamois vaincus », est une ville agréable, au bord d’une petite rivière et aux infrastructures touristiques hypertrophiées.
La rivière à Siem Reap.
Siem Reap : le centre-ville.
Le centre, à l’architecture coloniale très marquée, est bourré d’hôtels guindés et de bars branchés. Bref. C’est décidé : nous louerons un vélo pour nous déplacer et échapper ainsi à tous ces « Sir ! Sir ! Touk-touk ? » qui prennent la tête, qu’on se le dise. Du coup, après un passage trop long sur Internet (et vous saurez bientôt pourquoi), nous décidons d’aller voir le soleil se coucher dans le Tonlé Sap, le lac immense, sorte de mer intérieure, qui se remplit puis se vide chaque année avec les eaux du Mékong et dont j’ai déjà parlé. Ceci dit, je viens de le dire, nous sommes restés trop longtemps sur Internet. Du coup, le temps d’avaler les sept kilomètres qui séparent la ville du lac, nous arrivons là-bas à la nuit noire. Mais ça ne fait rien. Bien au contraire. Tous les touristes se sont barrés, et nous nous mettons à faire les troubadours dans le village étalé de part et d’autre d’une sorte de digue qui s’enfonce dans la nuit. Nous chantons sous les yeux étonnés des villageois qui vivent ici dans des conditions plutôt spartiates. Sur la route du retour, une guinguette endormie nous tend les bras. Nous nous avachissons dans des hamacs et y buvons quelques binouzes. Ô que c’est simple quand on y pense ! Bref. Il est l’heure de repartir, retrouver Siem Reap et ses vacanciers en escale. Vers minuit, nous nous trouvons une guest house où un vieux lourd éméché nous offre à boire de l’infâme alcool de riz. Au dodo : le nuit sera courte.
Samedi matin : lever 5 h, direction Angkor. 6 km de vélo dans la nuit finissante, le long d’une route luxueuse, déjà presque bondée : bus, touk-touks et autres taxis foncent vers Angkor. C’est vraiment pas terrible. Enfin bref. Après un passage au péage digne de Saint-Arnoult où le dollar est plus cher que partout ailleurs, nous arrivons à Angkor Vat, le grand temple d’Angkor. Rassurez-vous, je ne vous ferai ni l’historique d’Angkor (dont je ne sais d’ailleurs à peu près rien) ni la longue liste des rois qui l’ont bâtie, de Jayarvaman II qui régna de 802 à 850 pour le plus premier, à Jayavarman Paramesvara qui régna au milieu du XIVe siècle pour le dernier. Quoiqu’il en soit, sachez qu’Angkor Vat doit être un des sites unesciens où les touristes arrivent le plus tôt. Dès six heures moins dix, des troupeaux entiers de bipèdes appareillés attendent l'astre du jour. Affolés, nous nous sommes engouffrés dans le temple lui-même, alors que tous attendaient, au loin, de voir Monsieur Soleil s’étirer sur ce spectre de pierres vieux de près de 900 ans. Dans ces antres de grès et de latérite, la magie du lieu a repris sa place. Le temple pour nous seuls. Sous les derniers rayons de lune, la pierre grisonnante nous a donné tout ce qu’elle avait : le poids de âges, le silence, et la mélancolie. Angkor a ça dans le bide : abandonnée après son apogée, elle s’est laissée envahir par le temps, loin des Hommes et de leur vaine volonté. Éparpillés sur un territoire de plusieurs milliers d’hectares, les temples d’Angkor (Angkor Vat n’en est que le plus connu) ont l’air d’avoir fait bon ménage avec les siècles. Ils se sont embellis même, et les fromagers eux-mêmes n’ont pas résisté à leur charme. Au plus près, ils les enlacent, glissant leurs racines dans leurs formes affriolantes.
Sous toutes les coutures, dans les ruines angkoriennes.
Un palmier angkorien.
Dans le ventre d'un fromager.
À vélo, on profite autrement du lieu. On s’enfonce dans la jungle à son gré. Le Lonely Planet a beau dire que faire Angkor en une journée est un sacrilège, je conseillerais bien à tous de faire comme nous : se laisser porter par le site plutôt que par les guides, ne fût-ce qu’une journée, est délicieux. Redécouverte en 1860, Angkor n’a pas depuis livré tous ses secrets. Dans ces conditions, on ne me fera pas croire que trois jours suffiront à des touristes ignares pour digérer le site. Et si la baignade dans le Srah Srang et la sieste à l’ombre du Banteay Kdey sont des sacrilèges, alors vive les sacrilèges !
Baignade.
À trois heures de l’après-midi, c’en est assez. Nous voilà sur le retour, via la route de l’aéroport, bordée de lampadaires dernier cri. Assoiffés, nous nous attablons dans une gargote où l’on ne tarde pas à nous proposer filles et autre fumerie. « Les Cambodgiens sont absolument charmants ». Le soir, nous nous posons dans un bar d’Occidentaux, avant d’aller faire dodo dans une guest house: demain, départ pour Phnom Penh.
[temps qui passe]
Bon cette fois-ci, il est 23h20, et nous sommes jeudi soir. Je reprends donc où j’en étais resté hier. Dimanche, Madame Penh nous reçoit une fois encore comme des princes. Un petit tour au Sorya, le centre commercial hypermoderne, l’histoire de se mettre quelque chose sous la dent et de grimper à son dernier étage pour y voir la ville de haut. D’ici, le Psar Thmey est encore plus délirant.
Le Psar Thmey de haut.
Nous voilà bientôt de retour à la maison des coopérants, où nous retrouvons notre bon Charles, séminariste à Issy-les-Moulineaux et resté seul ce week-end. Pas pour longtemps. Voilà Antoine qui débarque avec toute sa famille, venue passer quelques jours au Cambodge. Après une visite à la maison des PIME (Pontificio Istituto Missioni Estere) et une incruste chez Rémi et Marie, direction les quais du Tonlé Sap et sa vie nocturne.
Lundi matin : visite du Vat Ounalom, le siège du patriarcat bouddhiste du Cambodge, à deux pas du Palais Royal, et où est conservé un cil du Bouddha. Nous nous y faisons ouvrir une porte conduisant à la précieuse relique dont on ne voit en fait rien : une statue du Bouddha a été coulée autour. L’achar (sorte de gardien du temple) ne tarde pas à venir nous asperger d’eau bénite et à nous gratter le creux de la main en psalmodiant je ne sais quoi. Une vraie expérience, aussi transite fût-elle.
La statue-reliquaire du cil du Bouddha.
Pour enterrer 2007, réveillon au foie gras avec la famille d’Antoine et deux amies khmères à la maison des coopérants. Pour le passage à 2008, une descente de volontaires MEP s’opère au Elsewhere, un repère de noctambules à l’allure de villa d’expat’, avec jardin, piscine et tout le tralala. Three. Two. One. Happy new year ; puis passage sur les quais du Tonlé Sap.
Le lendemain, 2008 me fout un léger coup de blues. Mais puisqu’il faut se prêter au jeu tourmentant des voeux, je vous souhaite à tous justice, tempérance, prudence, et force pour cette année, qui n’est jamais que la dernière de la prochaine. »
Avec Dimitri.
J’arrête là mes élucubrations, de peur de m’y perdre.
La pensée de la semaine : "Les enfants doivent être indulgents envers les grandes personnes", Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince. »
Il est minuit moins dix et je suis ici mercredi soir. Mon lit m’appelle. Il hurle dans la nuit silencieuse. Je l’envoie paître. Pour sauver mes aventures, je me laisse une fois encore porter par les mots et leur force narrative.
J’ai beau me rappeler vous avoir dit que le Petit Jésus avait été prématuré cette année, je ne sais plus très bien où j’en étais resté. Peu importe. Si mon Noël 2007 n’aura pas eu la couleur habituelle, il aura été beau. Étrangement calme aussi. Mardi soir à Kompong Cham, la lune était pleine. Elle était belle. J’ai dîné avec Sokhim, les cuisinières et leurs enfants. Et j’ai aimé ce réveillon, loin des artifices. Je l’ai aimé : il n’avait rien d’un réveillon. Pour marquer le coup, faillant tout gâcher, j’ai distribué quelques cadeaux, avant d’aller voir le reflet de la lune dans le Mékong et de cracher au passage un Merry Christmas à l’Anglais qui tient un pub en front de fleuve.
Mercredi 25, jour de Noël, cours d’Anglais à Phum Thmey, avec une chanson de circonstance et pour mes élèves un petit cadeau pour les remercier. Chaque jour, je les remercie d’être ma cure de jouvence. Je les remercie d’être mon étoile du berger. De me montrer ce chemin sur lequel je me sens un peu mieux chaque jour.
Jeudi 26, dans l’après-midi, l'ami Dimitri est arrivé de sa province voisine, et nous voilà partis visiter l’île en face de Kompong Cham. Comme chaque année à la saison sèche, ce drôle de navire est amarré à la ville par un pont de bambou épatant, démonté à la saison des pluies. Avec ses airs de Mongolie et ses champs qui rappellent la Beauce, l’île donne cette impression étrange d’être ailleurs.
Dans les steppes insulaires.
Vendredi matin, départ en bus pour Siem Reap, la ville jouxtant Angkor, à 350 km au nord-ouest de Kompong Cham. Panique : sur la route, des chiées d’autocars remplis de touristes ne nous annoncent rien qui vaille. Une halte forcée dans un bouiboui de bord de route hors de prix aura failli nous achevés. Voir tous ces ventripotents se précipiter sur tout ce qui se vend est assez déconcertant. Advienne que pourra, nous poursuivons notre route. Siem Reap, id est « Siamois vaincus », est une ville agréable, au bord d’une petite rivière et aux infrastructures touristiques hypertrophiées.
La rivière à Siem Reap.
Siem Reap : le centre-ville.
Le centre, à l’architecture coloniale très marquée, est bourré d’hôtels guindés et de bars branchés. Bref. C’est décidé : nous louerons un vélo pour nous déplacer et échapper ainsi à tous ces « Sir ! Sir ! Touk-touk ? » qui prennent la tête, qu’on se le dise. Du coup, après un passage trop long sur Internet (et vous saurez bientôt pourquoi), nous décidons d’aller voir le soleil se coucher dans le Tonlé Sap, le lac immense, sorte de mer intérieure, qui se remplit puis se vide chaque année avec les eaux du Mékong et dont j’ai déjà parlé. Ceci dit, je viens de le dire, nous sommes restés trop longtemps sur Internet. Du coup, le temps d’avaler les sept kilomètres qui séparent la ville du lac, nous arrivons là-bas à la nuit noire. Mais ça ne fait rien. Bien au contraire. Tous les touristes se sont barrés, et nous nous mettons à faire les troubadours dans le village étalé de part et d’autre d’une sorte de digue qui s’enfonce dans la nuit. Nous chantons sous les yeux étonnés des villageois qui vivent ici dans des conditions plutôt spartiates. Sur la route du retour, une guinguette endormie nous tend les bras. Nous nous avachissons dans des hamacs et y buvons quelques binouzes. Ô que c’est simple quand on y pense ! Bref. Il est l’heure de repartir, retrouver Siem Reap et ses vacanciers en escale. Vers minuit, nous nous trouvons une guest house où un vieux lourd éméché nous offre à boire de l’infâme alcool de riz. Au dodo : le nuit sera courte.
Samedi matin : lever 5 h, direction Angkor. 6 km de vélo dans la nuit finissante, le long d’une route luxueuse, déjà presque bondée : bus, touk-touks et autres taxis foncent vers Angkor. C’est vraiment pas terrible. Enfin bref. Après un passage au péage digne de Saint-Arnoult où le dollar est plus cher que partout ailleurs, nous arrivons à Angkor Vat, le grand temple d’Angkor. Rassurez-vous, je ne vous ferai ni l’historique d’Angkor (dont je ne sais d’ailleurs à peu près rien) ni la longue liste des rois qui l’ont bâtie, de Jayarvaman II qui régna de 802 à 850 pour le plus premier, à Jayavarman Paramesvara qui régna au milieu du XIVe siècle pour le dernier. Quoiqu’il en soit, sachez qu’Angkor Vat doit être un des sites unesciens où les touristes arrivent le plus tôt. Dès six heures moins dix, des troupeaux entiers de bipèdes appareillés attendent l'astre du jour. Affolés, nous nous sommes engouffrés dans le temple lui-même, alors que tous attendaient, au loin, de voir Monsieur Soleil s’étirer sur ce spectre de pierres vieux de près de 900 ans. Dans ces antres de grès et de latérite, la magie du lieu a repris sa place. Le temple pour nous seuls. Sous les derniers rayons de lune, la pierre grisonnante nous a donné tout ce qu’elle avait : le poids de âges, le silence, et la mélancolie. Angkor a ça dans le bide : abandonnée après son apogée, elle s’est laissée envahir par le temps, loin des Hommes et de leur vaine volonté. Éparpillés sur un territoire de plusieurs milliers d’hectares, les temples d’Angkor (Angkor Vat n’en est que le plus connu) ont l’air d’avoir fait bon ménage avec les siècles. Ils se sont embellis même, et les fromagers eux-mêmes n’ont pas résisté à leur charme. Au plus près, ils les enlacent, glissant leurs racines dans leurs formes affriolantes.
Sous toutes les coutures, dans les ruines angkoriennes.
Un palmier angkorien.
Dans le ventre d'un fromager.
À vélo, on profite autrement du lieu. On s’enfonce dans la jungle à son gré. Le Lonely Planet a beau dire que faire Angkor en une journée est un sacrilège, je conseillerais bien à tous de faire comme nous : se laisser porter par le site plutôt que par les guides, ne fût-ce qu’une journée, est délicieux. Redécouverte en 1860, Angkor n’a pas depuis livré tous ses secrets. Dans ces conditions, on ne me fera pas croire que trois jours suffiront à des touristes ignares pour digérer le site. Et si la baignade dans le Srah Srang et la sieste à l’ombre du Banteay Kdey sont des sacrilèges, alors vive les sacrilèges !
Baignade.
À trois heures de l’après-midi, c’en est assez. Nous voilà sur le retour, via la route de l’aéroport, bordée de lampadaires dernier cri. Assoiffés, nous nous attablons dans une gargote où l’on ne tarde pas à nous proposer filles et autre fumerie. « Les Cambodgiens sont absolument charmants ». Le soir, nous nous posons dans un bar d’Occidentaux, avant d’aller faire dodo dans une guest house: demain, départ pour Phnom Penh.
[temps qui passe]
Bon cette fois-ci, il est 23h20, et nous sommes jeudi soir. Je reprends donc où j’en étais resté hier. Dimanche, Madame Penh nous reçoit une fois encore comme des princes. Un petit tour au Sorya, le centre commercial hypermoderne, l’histoire de se mettre quelque chose sous la dent et de grimper à son dernier étage pour y voir la ville de haut. D’ici, le Psar Thmey est encore plus délirant.
Le Psar Thmey de haut.
Nous voilà bientôt de retour à la maison des coopérants, où nous retrouvons notre bon Charles, séminariste à Issy-les-Moulineaux et resté seul ce week-end. Pas pour longtemps. Voilà Antoine qui débarque avec toute sa famille, venue passer quelques jours au Cambodge. Après une visite à la maison des PIME (Pontificio Istituto Missioni Estere) et une incruste chez Rémi et Marie, direction les quais du Tonlé Sap et sa vie nocturne.
Lundi matin : visite du Vat Ounalom, le siège du patriarcat bouddhiste du Cambodge, à deux pas du Palais Royal, et où est conservé un cil du Bouddha. Nous nous y faisons ouvrir une porte conduisant à la précieuse relique dont on ne voit en fait rien : une statue du Bouddha a été coulée autour. L’achar (sorte de gardien du temple) ne tarde pas à venir nous asperger d’eau bénite et à nous gratter le creux de la main en psalmodiant je ne sais quoi. Une vraie expérience, aussi transite fût-elle.
La statue-reliquaire du cil du Bouddha.
Pour enterrer 2007, réveillon au foie gras avec la famille d’Antoine et deux amies khmères à la maison des coopérants. Pour le passage à 2008, une descente de volontaires MEP s’opère au Elsewhere, un repère de noctambules à l’allure de villa d’expat’, avec jardin, piscine et tout le tralala. Three. Two. One. Happy new year ; puis passage sur les quais du Tonlé Sap.
Le lendemain, 2008 me fout un léger coup de blues. Mais puisqu’il faut se prêter au jeu tourmentant des voeux, je vous souhaite à tous justice, tempérance, prudence, et force pour cette année, qui n’est jamais que la dernière de la prochaine. »
Avec Dimitri.
J’arrête là mes élucubrations, de peur de m’y perdre.
La pensée de la semaine : "Les enfants doivent être indulgents envers les grandes personnes", Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince. »
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