Friday, December 21, 2007

Semaine 18 : au fin fond des rizières.

« Bonjour à tous,

Déjà samedi ! Joyeux Noël à tous ! Ici, c’est Noël avant l’heure. Pays bouddhiste oblige, le 25 décembre est à peu près inconnu au bataillon. Du coup, chacun s’adapte comme il peut, et les messes de la nativité commencent aujourd’hui. Je dis "les messes" parce qu’il y a plusieurs villages à couvrir, et donc plusieurs messes. Mgr est parti dans ses provinces habituelles, et ne reviendra qu’en fin de semaine prochaine. Une semaine sur les routes cambodgiennes à fêter Noël avec différentes communautés. Le Père Vogin, vicaire général, prend en charge Kompong Cham (dont il est d’ailleurs curé), pendant que le Père François Hemelsdael et moi allons à Phum Thmey cet après-midi.

L’église de Phum Thmey, à la saison des pluies, et avant la construction de la salle paroissiale (où je donne mes cours d’Anglais).



L’église de Phum Thmey aujourd’hui.



Mon premier Noël extra-familial. Mon premier Noël à l’étranger. Mon premier Noël sous 30°C. Combien sont loin les vitrines du Boulevard Haussmann ! Si quelques églises évangéliques (il y en a 17, rien qu’à Kompong Cham !) ont bariolé leur portail de guirlandes clignotantes, ça ne va guère plus loin. Au siège de la préfecture apostolique, nous avons décoré le jardin, et décalé la messe d’une journée pour cause de mariage juste à côté qui risquait de déclencher une guerre sonore. Bref : un Noël intertropical, à la khmère chez les Khmers.

Mais que vous dire de ma dix-huitième semaine, puisque je suis là pour ça ? Le climat cambodgien nous offre ces temps-ci de profiter des plus belles journées de l’année : soleil généreux, température idéale, peu de vent. Le Cambodge en est à son apogée climatique. Le Cambodge est un beau pays. Et Kompong Cham me dévoile peu à peu des charmes insoupçonnés. A force de la parcourir, je finis presque par m’y croire en ville. Construite par les Français, elle dessine un hémicycle au bord du Mékong, avec au perchoir la résidence du Gouverneur, maison de style Louis XVI, aujourd’hui siège du conseil provincial.

J’empiète sur ma chronique de la semaine prochaine, mais je dois vous raconter combien le monde est petit. La semaine dernière déjà j’avais essayé de trouver quelque part dans Kompong Cham un médecin français sur lequel un article était paru dans le Journal du Centre d’il y a quinze jours (suis-je clair ?). Peut-être vous demandez-vous si je lis régulièrement sous mes latitudes ce journal régional français ? Il n’en est rien. Simplement, j’ai mes informateurs, à savoir mes parents, qui lisent ce canard quand ils sont dans la Nièvre. Quid de cet article ? Il y était dit que ce médecin venait pour un mois former des kinés à l’hôpital de Kompong Cham ; de quoi me donner l’envie de le rencontrer. J’ai donc fini par le trouver, en compagnie de sa femme. Non seulement il sont très sympas, mais en plus il habitent Donzy, charmante bourgade nivernaise d’où est originaire mon grand-père maternel, et où j’ai passé et continue de passer une partie de mes vacances ! Vous auriez vu sa tête quand, cash, je lui est sorti quelque chose du genre : "Bonjour docteur. Ravi de vous trouver enfin, je me présente patati patata, et j’ai vu un article sur vous dans le Journal du Centre de la semaine dernière". Bref. Je ne sais plus si c’est le monde qui est petit, la France qui est grande, ou Donzy qui...

Mais vous avez raison : revenons à la dix-huitième semaine. Les jours ouvrables, hormis un concert promotionnel au stade municipal financé par Honda, rien de particulier. En revanche, je m’étalerais volontiers davantage sur samedi, journée un peu plus agitée.
Avec d’autres, Dimitri et Antoine ont débarqué à Kompong Cham ; l’après-midi, nous avions prévu d'aller visiter les missions du Père Ponchaud, à une quarantaine de kilomètres de là. Le Père Ponchaud est un sacré bonhomme. Arrivé au Cambodge en 1965, il est des étrangers qui connaissent le mieux l’Histoire et la langue khmères (il y a peu, lorsque Hun Sen rendit visite à Chirac, c’était lui l’interprète). Hormis un travail de titan sur le terrain, le Père Ponchaud est reconnu comme celui qui a révélé au monde le génocide des Khmers Rouges. Et pour cause : dès l’été 1976, il se prit à écrire "Cambodge année zéro", ouvrage dans lequel il décrit, à partir de témoignages de réfugiés et de radio Phnom Penh, ce qu’il en est réellement de la vie au Cambodge sous le nouveau régime, jusque là plutôt bien accueilli par une partie de l’intelligentsia occidentale. Le livre, paru en 1977, est encore en vente aujourd’hui sur la plupart des marchés cambodgiens ; nombreux sont les vendeurs à la sauvette qui le proposent parmi de rares autres, dont celui, à succès également, de François Bizot, "Le Portail".

Les missions du Père Ponchaud sont au bout du monde. Des kilomètres de pistes. Des nids-de-poule par centaines. De la poussière à couper au couteau. Des paysages à couper le souffle. Au garde-à-vous dans les rizières, les palmiers à sucre y dressent leurs silhouettes élancées et chevelues. Là, au milieu de nulle part, surgit un village et sa mission. Soutien scolaire, construction d’écoles ou de salles de classe, travaux d’irrigation et d’agriculture, creusement de réserves d’eau : autant d’ingrédients, en plus de l’animation spirituelle, qui montrent que l’Eglise a bien les pieds sur terre, et met le paquet sur l’éducation et le développement. Les missionnaires se mettent ici au service des autres, dans des coins dont tout le monde se fout ; c’est précisément cela qui me fait dire que même en dehors de considérations religieuses, l’Eglise est une institution valeureuse. Elle est une Internationale qui tient la route. Son modèle organisationnel a beau agacer certains ou susciter la méfiance et la suspicion, il lui offre une grande marge de liberté et ainsi de pouvoir oeuvrer partout, au service des autres.

"[...] au terme de mon propos, et à quelques jours de cette fête de Noël qui est toujours un moment où l’on se recentre sur ce qui est le plus cher dans sa vie, je voudrais me tourner vers ceux d’entre vous qui sont engagés dans les congrégations, auprès de la Curie, dans le sacerdoce et l’épiscopat ou qui suivent actuellement leur formation de séminariste. Je voudrais vous dire très simplement les sentiments que m’inspirent vos choix de vie. Je mesure les sacrifices que représente une vie toute entière consacrée au service de Dieu et des autres. Je sais que votre quotidien est ou sera parfois traversé par le découragement, la solitude, le doute. Je sais aussi que la qualité de votre formation, le soutien de vos communautés, la fidélité aux sacrements, la lecture de la Bible et la prière, vous permettent de surmonter ces épreuves. [...] Ce que je veux vous dire ce soir, [...] c’est l’importance que j’attache à ce que vous faites et à ce que vous êtes. Votre contribution à l’action caritative, à la défense des droits de l’homme et de la dignité humaine, au dialogue inter-religieux, à la formation des intelligences et des cœurs, à la réflexion éthique et philosophique, est majeure. Elle est enracinée dans [...] une diversité souvent insoupçonnée, tout comme elle se déploie à travers le monde. Je veux saluer notamment nos congrégations, les Pères du Saint-Esprit, les Pères Blancs et les Sœurs Blanches, les fils et filles de la charité, les franciscains missionnaires, les jésuites, les dominicains, [...] toutes ces communautés, qui, dans le monde entier, soutiennent, soignent, forment, accompagnent, consolent leur prochain dans la détresse morale ou matérielle. En donnant [...] dans le monde le témoignage d’une vie donnée aux autres et comblée par l’expérience de Dieu, vous créez de l’espérance et vous faites grandir des sentiments nobles."
Vous l’aurez compris, ces mots ne sont pas les miens. Ils sont ceux de Nicolas Sarkozy, jeudi dernier, au Palais du Latran, lors de son entrée dans le chapitre de la cathédrale romaine. Comme je n’en pense pas moins, je rends hommage à notre loulou national d’avoir eu l’audace de les sortir.

Voilà. Je m’arrête là. Une précision : je ne garantis pas de vous rejoindre la semaine prochaine: je pars vendredi matin, direction Angkor et 2008 ! Ceci dit, vous en savez déjà pas mal sur ma dix-neuvième semaine qui est presque finie. Quoiqu'il en soit, je ne vous oublie pas, et tâche de m’y remettre dès janvier. D’ici là, je vous souhaite un bon Noël, en famille ou ailleurs ! »

La pensée de la semaine : "Quand il y a du riz qui moisit dans la cuisine, il y a un pauvre qui meurt de faim à la porte" (proverbe chinois). »

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