Monday, October 8, 2007

Semaine 8: un kilôkram de kaeussou.

Chers surfeurs-lecteurs, comme chaque semaine, nous rejoignons Louis, en direct de Kompong-Cham, pour sa chronique du samedi-dimanche-lundi (en fait, ça dépend):

« Et voila. Ça fait bientôt deux mois que je chronique chaque semaine au Cambodge. Ma huitème semaine a été suffisamment calme, et je ne saurais l’étaler trop en longueur. Mon travail de co-comptable de la Préfecture apostolique de Kompong Cham s’accélère grandement. Et pour cause : les premières échéances se profilent à l’horizon, et peut-être un peu plus près encore. Pour l’heure, je suis plongé dans les rapports financiers à adresser avant la fin du mois à nos financeurs, pour leur rendre ainsi des comptes, aux premier et second degrés.

Pour ce qui est des activités extra-comptables de la semaine, retenons simplement cette sortie dans la campagne environnante, pour y apporter des sacs de riz à des familles pauvres. Nature oblige, le cadre est magnifique. La piste tape-cul traverse des rizières à perte de vue, et l’on a bien du mal à penser qu’au début du siècle, par ici, la forêt dominait, faisant de la région un territoire de chasse très couru : éléphants, rhinocéros, tigres, panthères et autres bestioles, parait-il, pullulaient.

J’ai bien envie cette semaine de vous parler un peu de la langue khmère, à laquelle j’essaie de me faire peu à peu. Avec une heure de cours par jour en moyenne, je commence à comprendre qu’elle est en fait moins facile que je ne le pensais au début. Nouvel alphabet oblige (les chiffres ne sont pas plus arabes que l’alphabet est latin), la méthode B-A-BA me replonge en enfance, et plus mes connaissances avancent, plus je m’aperçois que la prononciation peut varier d’un mot à l’autre (suis-je clair ?). En gros: ça s'complique. Si certains sont sont effetcivement difficiles à reproduire, comme le Français, et contrairement à la plupart de ses consoeurs sud-asiatiques, le Khmer est une langue monotonale (c’est-à-dire qu’une variation de la tonalité, ou hauteur, dans la prononciation n’entraîne pas de changement de sens); parallèlement, le Khmer est aussi une langue monosyllabique (chaque syllabe, si elle n'est pas associée en elle-même à un mot complet, a normalement sa signification propre). Généralement, quand les mots sont longs et ne sont pas l'association de plusieurs autres, c'est qu'ils ont été importés tels quels de l'étranger. Kômpiouteur, kilôkram, kaeussou, chokola, fromach, pizama, épina, salat’ : autant de mots qui trahissent leur origine. Par ailleurs, si le Khmer n'est pas à la base une langue indo-européenne, une partie de son vocabulaire originel (et de son vocabulaire seulement: exit la grammaire), héritée du sanscrit ou du Pâli (qui sont des langues indo-européennes), peut nous rappeler des choses. Ainsi en est-il de "navire", qui se dit "nirvir" (vous me pardonnerez, je n’ai pas trente-six exemples, mais un suffira). Pour ce qui est de la grammaire, elle est au premier abord assez simple. Les mots (substantifs, adjectifs et verbes) sont invariables, et la conjugaison se limite au passé/présent/futur : voila qui allège un peu la tâche. "Moi aller marché acheter viande" qu’ils disent....
Mais en réalité, pour maîtriser le Khmer, il faut plusieurs années de pratique, et l’apprendre sans s’immerger dans la culture ne vous fera jamais vraiment le comprendre. Langue culturelle par excellence, le Khmer ne dévoile tous ses secrets qu’au contact de ceux qui la vivent. Le sens des mots est souvent subtil, voire intraduisible, et l’extrême richesse du vocabulaire fait somme toute le contrepoids à une grammaire réputée facile. Ainsi, pour le verbe porter, il faudra un mot différent pour chaque manière de porter ; "pone" pour "porter en baluchon", "béy" pour "porter dans les bras", "li" pour "porter sur l’épaule", "kôndir" pour "porter sur la hanche", "louv" pour porter sur le dos", "toul" pour "porter sur la tête", "kane" pour "porter à la main", "rék" pour "porter en palanche", et j’en passe, et des meilleurs. Bref. Autant vous dire que les dictionnaires Khmer/Français sont souvent énormes. Ainsi, si le premier dictionnaire Cambodgien-Français, paru en 1902 aux presses des MEP, ne comptait que 432 pages, les suivants (toujours sous la houlette des missionnaires des MEP) dépasseront les mille pages. En 1933, le dictionnaire Cambodgien-Français du Père Sindulphe Tandart (un des plus aboutis) atteindra 2478 pages. Pour finir sur la langue locale, un mot peut donner une idée de ce que j’appelle plus haut une "langue culturelle par excellence" : "je" se dit "khniom", qui signifie "esclave". La messe est dite.

Bref. Voila pour l’heure ce que j’avais à vous raconter cette semaine. En attendant la s’maine prochaine, comme de bien entendu.
Et évidemment :
1) Le carnet : Caroline de S. et Geoffroy C. vont s'marier. Bravo !
2) La pensée de la semaine : grâce au rugby, c’est la fête à Pariz. »

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