Chers surfeurs-lecteurs, comme chaque semaine, nous retrouvons Louis en direct de Kompong Cham, pour quelques racontars. Avant de lui passer l’antenne, nous tenons à nous excuser du léger contretemps, grand responsable de notre retard.
« Bonjour à tous. Je vais tâcher de faire vite, mais cette semaine j’ai pas mal de choses à vous raconter. Et pour cause : la fête des morts (Pchum Ben) a atteint son apogée au cours de la semaine. Jeudi, c’était "le" jour pour aller à la pagode. Le 2 novembre local. D’ailleurs, une dérogation de Rome autorise l’Eglise du Cambodge à célébrer la Toussaint le jour de Pchum Ben. Nous avons donc eu la messe de la Toussaint en avant première. Au cours de la messe, la tradition veut que les fidèles déposent au pied de l’autel des plats pour les morts. Ça sentait la cuisine. Pour les bouddhistes, les plats sont d’ordinaire plus ou moins conservés, les bonzes les offrant parfois au sol de la pagode ; mais comme on n’est pas bouddhistes, et bien nous avons tout mangé après la messe. Un gueuloton. Puis, en van, en route pour Han Chey, une montagne locale (un « Phnom » pour être exact), à une vingtaine de kilomètres, sur lequel un temple bouddhiste en expansion a été construit il y a bien longtemps. La piste (ce n’est pas moi sur la photo, mais ça pourrait...) qui y mène en met plein les yeux. A droite, le Mékong ; à gauche, des rizières inondées à perte de vue. Une bande de terre au milieu d’un océan d’où surgissent les silhouettes innombrables des palmiers à sucre.
A Han Chey, une partie du temple semble remonter à la période angkorienne. Mais depuis, ce n’est que rajouts, excroissances, kitcheries, et autres trucs (genre des animaux de toutes sortes en béton, et même un dinosaure). Pour monter sur le phnom, on peut passer par un escalier monumental en bien mauvais état (la rampe est un Naga, le serpent à plein de têtes), ou alors la route y grimpe aussi. De là-haut, une vue à couper le souffle sur le bassin du Mékong en met plein la vue. Là-haut toujours, j’ai pris mon premier bain chaud depuis deux mois. Un bain de Khmers. Pas un seul Baraing (sauf moi). Je suis étranger. Au secours. C’est horrible. Je reçois plein de « hello » dans la figure. Je ne sais pas pourquoi, mais cette semaine, un bonjour en Rosbif, ça fait particulièrement mal. Heureusement, un singe fait le singe et on rigole bien. Mais je parle le singe encore moins que le Khmer. Rien à faire. On ne se comprend pas.
Et voila les Khmers qui se mettent à danser au son d’un mur d’enceintes qui atteint cette fois-ci au moins quinze mètres carrés. Et la foule compacte se prend au rythme. Le tout se meut lentement, réchauffant la planète de manière inquiétante à l’heure ou Al Gore reçoit justement le prix Nobel de la paix parce qu’il dit qu’il ne faut pas réchauffer la planète. Et dans tout ça, la tradition se perd : exit les costumes traditionnels. On est à l’heure des lunettes Gucci et des tee-shirts Dolce Gabbana (contrefaits, cela va d’soi). A côté, les marchands du temple épuise leurs marchandises : jus de canne à sucre, gâteaux de riz fourrés à la viande d’on-ne-sait-quoi, salades d’herbes, gelée de riz au sucre de canne, feuille de riz, riz au coco, riz grillé, et tout l’touti habituel (et on ne riz pas).
Un peu à l’écart du "complexe pagodal", mais toujours sur le phnom Han Chey, nous sommes allés voir un chantier étonnant qui surgit de terre, mais en stand-by pour le moment. Comme à l'entrée de bon nombre de pagodes, un gardien commente ce qui se passe dans un haut-parleur (il s'agit en fait d'un achar, laïc qui anime la vie religieuse). Là encore, j’ai eu droit à un "hello", cette fois-ci démultiplié, et le garde-commentateur, hilare, a ri. Et moi avec (et l’on riz encore...). Pour l’heure, ne nous voyons là que les fondations de ce qui sera un des plus grand Bouddha du monde, et sans doute le plus grand de toute la péninsule indochinoise. Le dessin du projet donne une idée de ce que sera cette statue de 56 mètres de haut. Impressionnant. En grimpant sur la plate-forme de béton sur laquelle sera assis le Bouddha géant, on a droit à une vue à 360º, jusqu'à l'horizon. C’est vertigineux.
Au retour, nous nous sommes arrêtés à Phum Thmey, un village à mi-chemin entre Han Chey et Kompong Cham. L’église de Phum Thmey a quelque chose de l’île aux oiseaux : perchée sur ses pilotis, elles est à cette saison inaccessibles à pieds secs. Nous en avons profité pour faire un tour en bateau, non pas sur le Mékong, mais sur les rizières, au niveau de la cime de quelques petits arbres, qui n’ont pas l’air assoiffés. Retour à la maison à la tombée de la nuit, avec la tête pleine d’images incroyables, mais aussi l’envie de retourner là-bas un peu plus tranquillement. Le van plein à craquer, le déplacement en groupe, et la foule m’ont donné l’impression de passer à coté de quelque chose.
Et justement, l’occasion d’y retourner s’est vite présentée. Vendredi soir, Monseigneur Susairaj, partis deux jours dans les provinces de Prey Veng et Svay Rieng pour y assurer les messes (le Père Alberto, un Italien d’ordinaire chargé de Prey Veng, est en Europe en ce moment), est revenu avec Dimitri, un coopérant MEP tout juste arrivé, et basé à Prey Veng. Mgr voulait lui montrer le siège de la Préfecture apostolique. Du coup, samedi, j’ai proposé "au nouveau" de faire un tour en moto dans l’coin. Et nous voilà partis. Dans un premier temps, direction Han Chey. Les cheveux dans le vent, je redécouvre la piste-promontoire, et Han Chey, debarrassé du superflu. Le singe est déchaîné. Est-ce parce qu’il est content de me revoir ? Pour la première fois de mon séjour, je bois un jus de canne. Ma méfiance était injustifiée : c’est très bon.
Ensuite, direction Phnom Srey et Phnom Pro, la colline des femmes et la colline des hommes dont je vous ai déjà parlé dans une chronique précédente. A Phnom Srey, je prends un singe dans les bras, et l’impact entre mon avant-bras et ses fesses rouges éveille chez moi une sensation jusqu’alors inconnue... Il est déjà tard, et les gens sont rentrés. Le site est étrangement calme. Sur Phnom Pro, les singes, dans une scénographie étrangement humaine, courent par dizaines, fouillent dans les poubelles, grignotent avec minutie les restes, s’épouillent. L’un d’entre eux, apparemment poursuivi par sa mère en colère, grimpe à l’antenne relais haute d’une cinquantaine de mètres, et pour échapper à sa génitrice qui l’a déjà rattrapé, glisse le long d’un des haubans de ladite antenne ; en arrivant en bas, des hurlements de douleur : ses mains sont cuites (pour d’autres photos de Han Chey et de Phnom Pro-Phnom Srey, voir ici ; même chose : ce n’est pas moi sur les photos, mais ça aurait pu).
Dernière étape de notre après-midi découverte, nous nous rendons à Vat Nokor (voir aussi ici), un temple du XIe siècle dont je vous ai également déjà parlé. Mais là encore, je redécouvre le site. Nous y arrivons à la nuit tombante, et tout le monde est parti. A l’intérieur, personne ; seule, la lumière de quelques bougies danse sur les murs qui racontent la vie du Bouddha. Dans une des enceintes de la pagode, nous croisons deux jeunes bonzes, en habit safran. L’un et l’autre parlent Anglais, et nous voilà partis dans une discussion bien informelle. En fait, ils ne sont pas moines pour la vie, mais seulement pour quelques années, le temps des études, notamment du Pâli, le Latin local. Et après : retour à la vie civile. L’un des deux s’est même dit impatient de défroquer...
Dimanche, Dimitri s’en est rentré à Prey Veng, avant que la neuvième semaine ne laisse sa place à la dixième. Affaire à suivre.
Et bien sûr : la pensée de la semaine : "Le riz qui est dans ton grenier est ton ennemi parce qu’il excite la jalousie de ceux qui n’en ont pas" (proverbe thaï). »
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