Wednesday, May 21, 2008

Semaines 37, 38, 39 & 40 : Good morning Vietnam.

21 avril. Je préfère dater le lundi de ma 37e semaine, afin que les choses soient claires. Et d’ailleurs, je vais dater chaque jour de cette chronique, soit 28 jours, à la queue leu leu. Ça sera surement mieux, et pour vous qui me lisez, et pour moi, qui ai peur de me perdre si je ne suis pas méthodiquement le calendrier. Quatre semaines à raconter, au jour-le-jour. Quatre semaines, vous allez voir, partagées entre Cambodge et Vietnam, entre bus et avion, entre moto et train, entre nord et sud. En somme, quatre semaines un peu moins routinières. Quatre semaines au bout du monde, dont deux de vacances.

C’est parti.

Lundi 21 avril donc. Célia et Bertrand s’en vont à Sihanouk Ville, sur le Golfe de Thaïlande, d’où ils regagneront vendredi Hô Chi Minh-Ville pour prendre leur avion (voir la chronique précédente). Retour au bercail. De mon côté, je file avec Rémi à l’ambassade du Vietnam, sur Monivong Boulevard, à cent mètres de l’évêché, pour y prendre mon visa. Aucun problème à signaler : 35 dollars alignés, et voilà mon passeport avec une page vierge en moins. Dans la foulée, je prends le bus pour Kompong Cham, et regagne mes appartements pour une petite semaine.

Mardi 22, mercredi 23, jeudi 24 : RAS. Trois jours de boulot lambda.

Vendredi 25 avril : je repars à Phnom Penh pour la messe des coopérants. 17h30 : partage traditionnel d’Evangile, dont j’ai retenu cette phrase : "Celui qui refusera de croire sera condamné" (Marc, 16, 16) ; comme je l’expliquais à mes camarades, elle est la meilleure réponse à ceux qui s’interrogent sur ce qu’est la foi (sans nécessairement les convaincre d’ailleurs) : si, comme il est dit ici, on peut la refuser, c’est qu’elle repose sur l’acceptation de ses principes, et non sur leur compréhension. 18h30 : messe, suivie d’une nems party.

Samedi 26 avril : je passe au marché russe, avant de reprendre un lân touri pour Kompong Cham. Ces va-et-vient sont un peu rébarbatifs.

Dimanche 27 avril : messe, avec un mariage au milieu. 19h30 : je remets au goût du jour le film du dimanche soir, façon Cinéma paradiso. Cette fois-ci, ce sera Earth, un documentaire de la BBC sur notre planète (comme son nom l’indique), réalisé par Alastair Fothergill et Mark Linfield (2007). À couper le souffle. Tourné en cinq ans, véritable hymne à la Terre, ce périple latitudinal qui nous fait rejoindre les deux pôles à coups d’images spectaculaires, a l’air d’avoir passionné la salle.



Lundi 28 avril : RAS.

Mardi 29 avril : alors que j’avais pensé aller à Phnom Penh le soir même (mes amis arrivent demain), sur le coup de midi, Philibert s’annonce à dormir avec sa cousine Hortense, qui faisait partie la semaine dernière de la bande des "pseudo-Vendéens" (lire ici) – à propos, elle m’a infirmé ce titre, et entend que je la dise Vendéenne -. Ravi de cette visite impromptue, je repousse mon départ au lendemain matin. Les deux zouaves arrivent suffisamment tôt, si bien que j’ai le temps d’aller les promener du côté de la piste d’aéroport, refaite pour les B-52 états-uniens pendant la guerre du Vietnam, et dont je vous ai déjà parlé. Cette balade est l’occasion pour moi d’essayer la moto 250cc louée par Philibert. Ça dépote. J’ai peu de peine à me prendre pour un avion au décollage. Après le dîner, nous allons comme de droit boire une binouze chez l’Amerloque, en front de fleuve. Au dodo.


Mercredi 30 avril : je commence mes premières grandes vacances, et pour la première fois depuis six mois, il pleut au réveil. Comme entendu, par le bus de 7h, je file à Phnom Penh, pour y récupérer Sophie, Alix, Adrien et Hugues, arrivés la veille à Hô Chi Minh-Ville, et qui sont censés me rejoindre aujourd’hui par le bus. Advienne donc que pourra. 10h30 : Charles, un compère phnom penhois, me cueille devant l’ambassade de France, au 1, boulevard Monivong. Nous filons au CCF, le centre culturel français, où nous espérons trouver une de ses cousines qu’il n’a jamais vue mais que je connais parce qu’elle a été ma co-stagiaire à la DMF il y a cinq ans (suis-je clair ?). Sans encombre (son nom est écrit sur la porte), nous trouvons donc Marie assise à son bureau (elle bosse là depuis un an). Ma tête ne lui dit apparemment pas grand chose. C’est la joie des retrouvailles… Nous restons un bon quart d’heure à nous rappeler qui fait quoi et où, et nous séparons. Alors que je n’ai toujours pas de nouvelles de mes trois amis et de ma cousine (Sophie précitée est ma cousine germaine), et alors que je suis toujours devant le CCF avec Charles, mon téléphone sonne en numéro inconnu. Ce doit être eux, pensé-je. Et là surprise : il s’agit bien de ma cousine germaine, mais pas de Sophie. Ça donne à peu près ça : - "Salut Louis, c’est Nathalène, je suis à Phnom Penh, est-ce que tu veux qu’on bouffe ensemble au déjeuner ?" Moi : - "?! Ben ça alors c’est marrant j’attendais un coup de fil mais pas celui là et patati et patata". Bon bref. Je passe les détails. Nous nous donnons rendez-vous à l’évêché, que la copine avec qui Nathalène est venue connaît parce qu’elle a été volontaire Enfants du Mékong ici pendant deux ans (suis-je clair ?). Bref. Encore une fois, la boucle est bouclée. Nous déjeunons donc à cinq (Nathalène, Marie – la copine -, Charles, Antoine et moi) dans un resto un peu guindé mais pas cher de la rue Pasteur. Passage au marché russe. Marie et Nathalène me déposent en moto à la maison des coopérants. Toujours pas de nouvelles des autres. "Mais qu’est-ce qu’ils foutent, bon sang !?"
18h30 : le téléphone sonne, toujours en numéro inconnu. Cette fois-ci, c’est la bonne : ils sont au National stadium, où le bus les a déposés. Je prends aussitôt un motodop, et les retrouve, enchanté. La pauvre Alix fait peur à voir : elle est malade comme pas deux, et son pull (à manches longues, rendez-vous compte !) n’annonce rien qui vaille. Nous prenons donc un touk-touk, direction la maison des coopérants. Alix va directement se coucher, et j’appelle Irad, le médecin volontaire MEP, pour qu’il vienne ausculter la malade. Diagnostic : rien de grave. Prescription : au moins un jour de repos. Laissant Alix se refaire une santé, nous autres allons dîner dans un bouiboui du côté du marché russe. Tout le monde est crevé. Au dodo.


Jeudi 1er mai : fête du travail, toujours chômée. Alix est couchée. Sophie, Adrien, Hugues et moi faisons un tour au marché russe, temple du souvenir, et passage obligé des vacanciers à Phnom Penh. Vers 11h30, nous prenons un touk-touk, pour aller visiter Laurent (volontaire MEP lui aussi) dans sa mission de Wat Champa, à une quinzaine de kilomètres de Phnom Penh. Laurent habite là, dans cette communauté catholique vietnamienne complètement ghettoïsée (le village, au bord du Mékong, est ceint de murs, et on y entre par un portail). L’endroit, pouilleux, est haut en couleurs. Une église trône au milieu de maisons de brick et de broc, d’oratoires à la Vierge et de bondieuseries en tous genres. Ici, tandis que les jeunes se mettent peu à peu au Khmer, les plus âgés ne parlent que le Vietnamien (historiquement, Khmers et Vietnamiens ne font pas bon ménage : guerres à répétitions, prises de territoires, occupations, et tout le toutim d’animosités qui va avec). Laurent, comme il le dit lui-même, fait ici de la présence, et je reconnais que c’est déjà beaucoup. Il habite ici, au royaume des Khmers, mais avec des Vietnamiens (qui représentent deux tiers des 18000 Catholiques du Cambodge). Chapeau bas.


Dans Wat Champa.








Laurent nous fait faire un tour, et nous emmène au bord d’un étang pour Phnom Phenois du dimanche, où des sortes de petits bungalows de paille ont été installés et sont à louer à la journée.

L’étang pour Phnom Penhois du dimanche.



Dans la foulée, nous rentrons prendre des nouvelles de la malade, qui va visiblement mieux. Elle trouve même la force de nous accompagner dîner sur le quai Sisowath. Il pleut à torrent, les rues sont vides ; nous attendons que ça se calme pour rentrer. Avant que nous n’ayons le temps d’aller nous coucher, Antoine le boute-en-train nous happe pour un tarot. Quelques parties, et au dodo.

Vendredi 2 mai : alors que les quatre parigo-manillais (Hugues est volontaire MEP à Manille) vont visiter le Musée du Génocide (que j’ai déjà visité deux fois et dont je vous ai déjà parlé : il s’agit de l’ancienne école transformée en centre de torture par les Khmers Rouges et en musée par les Vietnamiens – qui libérèrent le Cambodge de la griffe pol potienne en 1979 -), je vais au marché russe, faire les courses pour ce soir. De fait : nous invitons quelques gens pour un dîner français. Mes amis ont apporté dans leurs valises des produits bien d’chez nous – pâtés, terrines, saucissons, camemberts -, et nous comptons y ajouter du frais. Salade, tomates, pommes-de-terre, et fruits. Tout ça me laisse juste le temps de retrouver les quatre autres à 12h30 devant S21 (code dont les Khmers Rouges avaient baptisé la prison). Juste au moment de repartir en touk-touk direction le Phsar Thmey (ou marché central), nous croisons Alexis, un des trois motards dont je vous ai déjà parlé, et qui vient chercher ses parents venus le visiter. Une fois du côté du Central Market, nous grimpons les sept étages du Sorya, le centre commercial à l’occidentale qui surplombe la ville, et d’où nous est offert une des plus belles vues de Phnom Penh (il y a ici peu de hauts bâtiments, et sans doute encore moins depuis que le projet de construction d’une tour de 42 étages sur Monivong Boulevard a été tué dans l’œuf faute d’acheteurs – il s’agissait d’appartements privés -). Nous redescendons, et nous engouffrons dans le marché, si ce n’est pour acheter, du moins pour voir de l’intérieur ce délire art-déco. En redescendant vers les quais et le quartier du Palais Royal, nous nous arrêtons déjeuner dans un énième bouiboui, pour y avaler un énième loc-lac (plat très local à base de riz, de viande bouillie et de légumes). J’emmène ensuite tout le monde à ce qui m’est devenu une étape obligée à Phnom Penh : la relique du cil du Bouddha, au Wat Ounalom, le siège du Patriarcat bouddhiste (bouddhique ?) du Cambodge. Là, comme d’habitude, on se fait ouvrir les portes de ce jardin secret, où une statue reliquaire enguirlandée de kitcheries bling-blinguantes nous est offerte à la méditation. Faute cette fois-ci d’achar-la-gratouille (lire ici), nous nous contentons de planter dans le pot ci-devant quelques bâtons d’encens tendus par une néophyte à peine à l’aise devant cette horde de touristes (suis-je clair ?). Après l’offrande à l’Éveillé, nous nous engouffrons dans le Musée national, et alors que le ciel se met à déverser ses plus lourdes trombes.


Je n’avais pas encore fait ce musée, ô combien clamé par les guides. Véritable poésie architecturale aux allures très locales, on pourrait le croire une œuvre des Khmers eux-mêmes ; il n’en est rien : ce sont les Français qui l’ont construit en 1917 (cocorico ?). Le lieu est emprunt du temps qui passe. En bien des endroits bordéliques, mais malgré tout très riches, les collections ainsi exposées donnent l’impression d’un négligé chic, sans doute irréfléchi. Ce sont ces grands volets dépeints tout juste ouverts qui nous font nous sentir dans une maison de famille ; ce sont ces statues du Bouddha servant encore à la prière qui nous font nous sentir dans une pagode ; ce sont ces innombrables papiers explicatifs à la mention "origine inconnue" qui ne nous apprennent rien ; c’est enfin ce jardin intérieur, havre de paix dans la ville, qui nous fait nous sentir ailleurs. Il y a aussi les cloches de la cathédrale de Phnom Penh (méticuleusement détruite par les Khmers Rouges) qui trainent dans un coin, après que Mgr Destombes (l’actuel Vicaire apostolique) a paraît-il refusé de les racheter. L’endroit est au final charmant.

Dans le jardin du Musée national.



En sortant du musée, nous longeons le Palais Royal, et y regardons par ses lourdes grillent ses entrailles.

Par les grilles du Palais royal.





Dans une guérite.



Avec Adrien et un garde de Sa Majesté.




Nous rentrons à la maison, pour faire la popote. Pâtés, tapenade, bordelaise de canard aux cèpes, camemberts, salade de tomates, salades de fruits, le tout arrosé au Burgale, un vin très… fraternel. Au final, nous sommes douze, et tout le monde est apparemment ravi. Quelques uns d’entre nous allons finir la soirée au Elsewhere, une maison coloniale aménagée en bar branché, où tous les jeunes vingtenaires et trentenaires expats de Phnom Penh semblent s’être donné rendez-vous ce soir (comme chaque premier vendredi du mois d’ailleurs) [ndlr: de fait, pour ceux qui me suivent depuis janvier, c’est bien là que j’étais passé en 2008 – lire ici -]. Ce soir, curieusement, rien à voir avec le souvenir que j’en avais. C’est bondé. Ça hurle. Et le spectacle est proche de la Bérézina de l’espèce humaine. On y fait la queue pour s’offrir une bière plus chère que partout ailleurs ou presque, la piste en plein air est impraticable, des gens à poil sautent dans la piscine avec leur verre de mosquito… En quelque sorte, une expérience sociologique comme on les aime. Sans prendre le temps de nous éterniser, nous rentrons dare-dare rue 430 (celle de la maison des coopérants). Au dodo.

Samedi 3 mai : départ pour Kompong Cham par le bus de 8h45. Nous atteignons la cible trois heures plus tard, et y mettons d’emblée les pieds sous la table. L’évêché est presque inhabituellement vide. Comme pour changer, j’emmène mes compères visiter Chup, la plantation d’hévéas maintes fois racontée, sise à quinze kilomètres au-delà du Mékong. En chemin, arrêt du bout-du-pont à la tour Cham, escaladée par quatre d’entre nous. De là-haut, la vue est toujours aussi vertigineuse ; la pluie, tout à l’heure vraisemblable, est maintenant à l’approche : nous la voyons arriver au loin, se déplaçant en gros paquet de hallebardes.

La tour Cham...



... et ses escaliers.




"nous la voyons arriver au loin, se déplaçant en gros paquet de hallebardes..."



Vue depuis la tour.



Le pont de Kompong Cham (le seul à enjamber le Mékong au Cambodge).





Bien vu : alors que nous sommes sur le point de regagner le plancher des vaches, les premières gouttes cliquettent. Départ sous la flotte, direction Chup. Il pleut maintenant à torrents, et nous sommes trempés. Seconde escale dans un resto type réception-de-mariage pour s’abriter autour d’une tasse de thé. La pluie est apparemment passée, et nous pouvons repartir. C’est un peu vite dit : deux cents mètres, et c’est le déluge. Une casbah brinquebalante aux allures de cabane nous sert de préau le temps de l’averse, qui n’entend cette fois-ci pas passer. Coûte que coûte, nous voulons Chup. L’appel est trop fort pour que nous puissions en faire fi ; trempés pour trempés, nous voilà bientôt bravant la pluie et ses sévices, qui nous ne lâcherons plus jusqu’à l’arrivée. Comme de bien entendu, nous nous arrêtons à ce qui fut du temps des Français la maison du directeur de la plantation, et qui est aujourd’hui un logement de fonction pour quelques employés privilégiés. Dans le parc, resté à la française, avec ses buis taillés, ses allées et ses arbres centenaires, les traces d’un temps révolu continuent de se défraichir : une grille, deux cours de tennis, un kiosque-de-Madame, des communs, un potager nous parlent sans voix d’un train-de-vie lointain mais pépère. Une de nos motos fait maintenant des siennes : elle ne démarre plus. Relax, take it easy. Se serait-elle noyée ? Quand on la pousse, elle toussote, et démarre malgré tout. Ouf. Nous voilà donc repartis, direction les ruines de l’église, étape devenue obligatoire depuis que je l’ai récemment "découverte" (lire ici).

Trempés.




Les jardins à la française de l’ancienne résidence du directeur de Chup.



Comme à chaque fois, nous voir débarquer dans ce coin de nulle part est une véritable distraction pour les habitants des alentours. Presque aussitôt, un attroupement se forme autour de nos motos, tandis que nous regardons ce clocher évidé, seul rescapé d’une paroisse établie en 1955 (la date est inscrite en façade), bombardée par les Américains et achevée par les Khmers Rouges. À elle-seule, elle est une cicatrice encore ouverte de ce que le Cambodge a enduré dans les années soixante et soixante-dix. Au moment de repartir, comme tout à l’heure, la moto ne démarre pas. Nous la poussons, à la grande joie des spectateurs, hilares devant cette saynète jouée à domicile. Scène 2 : la moto a démarré, mais Hugues – qui la conduit – est parti avec la clef de la seconde moto dans sa poche. Je cours pour le rattraper, pensant qu’il nous attend plus loin. C’est cette fois-ci grotesque. Mais apparemment toujours aussi drôle.

Ce qu'il reste de l'église.




"...comme tout à l’heure, la moto ne démarre pas. Nous la poussons, à la grande joie des spectateurs..."




Scène 3 : retour à Kompong Cham, où nous dînons avec le P. Gérald. Nous allons terminer la soirée, chez Joe l’Amerloque, autour d’une bière. Comme c’est l’anniversaire d’Alix et que justement Adrien a un brownie et des bougies dans son sac, nous le lui fêtons en bonne et due forme. Bon anniversaire, et au pieu tout le monde.

Alix.



Dimanche 4 mai : nous louons des motos (celles de l’évêché servent généralement le dimanche pour la pastorale), et nous voilà partis pour Han Chey, la montagne-monastère située à une vingtaine de kilomètres de là, en amont du fleuve. C’est là qu’est en construction un bouddha de 56 mètres de haut. Le monastère est encore très actif. Dans une de ses nombreuses pagodes, nous nous penchons, en image, sur la vie du Bouddha, sorte de chemin-de-croix des Bouddhistes. Sur les murs, est peinte chaque étape importante de sa vie, de sa naissance à son éveil. Aux abords de la pagode, un petit garçon sans parents, à l’air sombre et vague à l’âme, me fait penser qu’il n’y a pas plus triste qu’un enfant triste. Plus loin (pardonnez-moi le débouché), un singe se prête bientôt à un grand show désespérément humain. Alors que nous buvons un jus de canne, le voilà qui déboule, avec ses grands bras de nigaud, et ses grandes papattes de dadais. Il se colle les fesses sur le banc des hommes, et se fait offrir un verre par la vendeuse. Ses expressions le trahissent : on le sent lassé de faire le singe pour animer la galerie. Cherchant apparemment à s’occuper, il se met à épouiller Sophie, dont les cheveux lui inspirent peut-être l’exotisme auquel il n’a jamais eu droit.

Vers Han Chey.



Vue depuis Han Chey.



Avec le singe :


- Sophie.



- moi.




Au retour de Han Chey, nous nous arrêtons à Phum Thmey (le village où je donne des cours d’Anglais), pour la messe de 11h, célébrée par le P. François. Phat, la catéchiste responsable de la paroisse, nous convie à déjeuner. Au menu : assortiment de plats, pour certains très bons, et mangues en guise de dessert. À peine sortis de table, nous nous éclipsons pour continuer notre promenade, direction la piste de l’aéroport, précitée (tourné-je en rond ?). Pour pousser le bouchon un peu plus loin que d’habitude, nous nous enfonçons dans la campagne, où une moto se décide à tomber en panne. Joie. Rien de grave : la bougie était débranchée (la mécanique…).

Dans une ancienne tour de guet, du côté de la piste des B-52.






Pour boucler la boucle, il ne manque plus que l’île et ses fameux ponts de bambous. En chemin, nous faisons escale à Vat Nokor, un temple angkorien du XIe siècle, où nous nous amusons un temps avec un bébé singe, ravi d’avoir du public, des hommes à escalader, des poches et des sacs à fouiller. De fait, la petite chose, avec ses petites mains potelées aux ongles bien dessinés, a des airs de famille : c’en est déroutant.

À contre-jour, un élément du Vat Nokor.



Une apsara.



Notre nouvel ami.



En chemin toujours, nous traversons le phum Islam, le quartier musulman de Kompong Cham, où foulards et djellabas nous font voyager plus loin encore. La mosquée y domine toujours de son dôme argenté.



Plus loin, nous rattrapons enfin le premier pont de bambou, et nous voilà pour peu de temps insulaires (il faut rendre les motos dans 40 minutes). À cette heure-ci, le Mékong est à son apogée artistique. Le soleil déclinant colore ses flots sans excès ; nous faisons une courte halte pour faire trempette du bout des pieds.

Les motos et le pont de bambou.




Alix et Sophie, Hugues et Adrien.




C’est r’parti : un rond-rond sur l’île, et nous la quittons par son extrémité nord, via le second pont de bambou. Nous rendons les motos à l’heure, mais attendons le gars un quart d’heure… Le soir, nous dînons chez Joe (l’Amerloque) avec Primprey, ma collègue à la compta. Au lit tout le monde : demain, nous partons pour Siem Reap, la ville bordant Angkor, et développée à partir de 1907 sous l'égide de l’École Française d’Extrême Orient qui venait de recevoir la charge de la conservation des temples.

Avec Hugues et Adrien.




Lundi 5 mai : 8h30 : départ en bus, qui nous dépose 5 heures plus tard dans un traquenard à touristes, loin du centre-ville, mais où touk-touks et motodops sont prêts à s’entre-arracher la gueule pour avoir un client. Justement, un touk-touk nous dit nous emmener pour "gratuit". Surpris, je redemande une fois, deux fois, trois fois : adjugé. Nous voilà transportés gratuitement, ce qui est je vous l’accorde assez louche. Bref. Nous arrivons dans le centre de Siem Reap, il nous blablatte un truc sur sa guest-house que nous ne voulons pas, il nous emmène dans une autre, meilleure marché, mais réclame le prix de la course. Nous lui faisons comprendre qu’il s’est bien foutu de nous, et qu’il peut aller se faire cuire un œuf où il veut quand il veut mais qu’il n’aura pas ses sous. Devant notre détermination, l’aubergiste, avec qui le touk-touk a visiblement un contrat du style "je t’apporte des clients que l’on tâche de plumer au passage" finit par aligner lui-même 10000 riels (2,5 $). Au final, pour une nuit à cinq, nous ne lui aurons rapporté que 5 dollars et demi… Nous posons nos sacs dans la chambre, et partons louer des vélos. Coup de bol : l’endroit où j’en avais loué lorsque j’étais venu en décembre est à cent mètres de là. Greffés de deux roues chacun, nous passons voir le Palais Royal (il y en a aussi un ici), avant de nous lancer sur la route du lac Tonlé Sap, et au bout de laquelle une grosse colline repérée la dernière fois me dit tout qui vaille. 10 km à pédaler, et nous y voilà. Bien que très à l’écart d’Angkor, le site est accessible aux touristes munis d’un ticket. Néanmoins, comme il est exactement 17h30 et que l’entrée est justement libre à compter de cette heure, nous passons quand même. À peine l’ascension entamée (à pied) qu’une sorte d’engin indéfinissable mais muni de quatre roues s’apprête à nous doubler. Nous levons le pouce, et nous retrouvons bientôt sur la plate-forme arrière, au milieu de sacs de riz et de bonzes, visiblement sur le chemin du retour. Là-haut, l’effet de surprise est énorme : perché à 140 mètres au-dessus de la plaine, un monastère en activité borde un temple angkorien du IXe siècle, baigné du poids des âges et des caprices du temps ; c’est Phnom Krom, sans doute construit par le roi Yaçovarman Ier (889-910), et dont certains éléments sont conservés au Musée Guimet. Splendide. Au loin : le Tonlé Sap, très retiré en cette fin de saison sèche, est à son plus bas niveau. La plaine qui s’étend sous nos yeux à perte de vue est l’idée même que je me faisais du paysage indochinois : des rizières noyées dans leur platitude et tachetées de forêts et de palmiers à sucre. Dans le quart d’heure, le coucher de soleil vient ajouter la touche finale à ce tableau enchanteresse. Nos pupilles battent à plein tambour.

Phnom Krom :

- le club des 5.



- moi.



- "perché à 140 mètres au-dessus de la plaine."



- avec Adrien.



- coucher de soleil.




La nuit tombant, nous redescendons ce mamelon démesuré, et nous posons un peu plus loin dans des hamacs pour grignoter un loc-lac arrosé à la bière Angkor®. C’est divin. Sur la route du retour, dans la nuit noire et calme de ce coin de monde étourdissant, nous sommes happés par l’inauguration tout en lumière d’une pagode dernier-cri. Trop belle occasion de nous offrir du pittoresque : moyennant l’achat au prix coûtant de billets de 100 riels (soit 1,6 centime d’euro), nous nous lançons dans le parcours balisé tout autour de l’édifice, et tout au long duquel le jeu consiste à balancer des billets dans des puits-tirelires, sortes de baignoires de l’oncle Picsou. À l’entrée, des gardiennes de chaussures sont prêtes à s’étriper pour que vous leur laissiez vos vieilles Converse®-qui-puent. C’est transit. Mais tellement khmer. La parade terminée, nous regagnons nos pénates, pour une courte nuit : demain, lever 5h pour visiter Angkor.

Nos vélos, dans notre chambre, à Siem Reap.




Mardi 6 mai : 5h15 : départ pour Angkor, toujours à vélo. 6 km à pédaler sur la mauvaise route, et nous arrivons sur le site par une entrée non-officielle. Le guichet est à 3km de là. Comme je connais déjà les principaux temples d’Angkor, je laisse mes quatre compères aller chercher leurs tickets (je ne le savais pas, mais le site d’Angkor -100 km2- est en fait gratuit ; ce qui est payant, c’est l’entrée dans les quelques temples à check-points – les plus intéressants naturellement-). Tandis que je les attends au bord des douves d’Angkor Vat (1500 mètres de long !), je vois passer deux types à vélo, dont un me dit quelque chose. J’appelle : "T’es Français, non ?". Pas de réponse : je dois me tromper. Je retrouve peu après Sophie, Alix, Hugues et Adrien, et nous voilà partis ; guère loin : nous nous arrêtons devant l’entrée principale d’Angkor Vat, que je les laisse aller visiter. J’en profite pour roupiller un coup. Une bonne heure plus tard, les voilà qui reviennent. Nous repartons, à bicyclette ; ça donne à peu près ça :
"Quand on partait de bon matin
Quand on partait sur les chemins
À bicyclette
Nous étions quelques bons copains
Y avait Fernand y avait Firmin
Y avait Francis et Sébastien
Et puis Paulette…
"

Nous nous enfonçons dans le site, et faisons halte à une pyramide ouverte à tous, mais vide de gens. Curieusement, on se croirait chez les Aztèques. Qu’importe : cet empilement de pierres, poli par les âges et chauffé par le dieu-soleil, s’offre à l’escalade. Nous n’y résistons pas. Tout en haut, un bouddha paraît s’éveiller pour l’éternité.

Chez les Aztèques ?



Idem. Avec Sophie et Alix.



"Tout en haut, un bouddha paraît s’éveiller pour l’éternité."




Plus loin, nous passons sous une des quatre portes d’Angkor Thom, ville de 3 km de côté, aujourd’hui envahie par la jungle, et fondée par Jayavarman VII (1181-c. 1215). Arbres gigantesques, fromagers dévoreurs, ruines plus ou moins majestueuses, singes, balayeurs-fonctionnaires, éléphants, touristes entouk-toukés : le décor est planté.

Sur la route d'Angkor Thom :

- Hugues, moi, Alix et Adrien.



- Alix, Adrien, Hugues.



- "nous passons sous une des quatre portes d’Angkor Thom"



Profil angkorien.



Au centre-sud de cette citée autrefois considérable, nous rejoignons le Bayon, temple d’État du roi, et ses innombrables tours à visages. Comme convenu, j’attends mes amis enticketés devant l’entrée. Et là, je revois les deux types de tout à l’heure, passant à pied juste devant moi, et discutant en Français de surcroît. Ça donne à peu près ça : - moi : "Ben vous êtes Français alors ?!" – celui dont la tête me dit quelque chose : "Ben oui, et en plus ta tête me dit quelque chose" (suis-je clair ?). Nous nous rappelons nos noms-prénoms ; je ne m’étais donc pas trompé : Ronan et moi avons été chefs ensemble à un camp scout il y a peut-être 7 ans maintenant. Étudiant à Jouy, il est en vadrouille sur la Terre pour six mois, et visite ces temps-ci l’Indochine avec un camarade de promotion. Encore une fois, et comme j’ai pu m’en enquérir plusieurs fois cette année, le monde est désespérément petit. Je lui raconte que je suis installé jusqu’en juillet à Kompong Cham ; ravi de ce nouveau point-de-chute, il y passera sans doute dans une dizaine de jours, en remontant vers le Laos. Au revoir donc. Trente secondes plus tard, mes amis sortent justement du Bayon ; nous rattrapons sans mal Ronan et Arnaud, qui s’étaient fait indiquer une belle balade sur les remparts de la ville. Loin des guides, nous pédalons en sentinelles sur des murailles vieilles de plus de 800 ans, avant de redescendre dans la jungle. Indiana Jones à la recherche de la route principale. Mission accomplie.

Adrien, Alix, Ronan, Arnaud, Hugues, moi.




Nous nous séparons ; les deux vadrouilleurs partent de leur côté, tandis que nous autres, sans le savoir, nous dirigeons vers Ta Keo, temple-montagne construit par Jayavarman V (c. 968-c. 1000), à l’aspect assez mastoc, du fait que la sculpture n’y a été qu’à peine commencée. Nous nous laissons porter par les routes angkoriennes, bitumées et aux bas-côtés impeccables. Nous nous arrêtons de-ci de-là, happés par telle ou telle ruine surgie de la jungle.

Adrien et Alix.



En arrivant au Ta Keo, une horde de femmes se jette sur nous pour nous avoir à déjeuner dans leur guinguette (c’est en effet l’heure de déjeuner). On les dirait prêtes à tout. En concert, elles hurlent des prix de plus en plus bas, comme à la foire d’empoigne. Toutes perdent, sauf une : nous nous attablons enfin. Après le déjeuner, trois d’entre nous escaladent le temple, haut de 21 mètres. Dans la foulée, comme nous en avons tous plein les pattes, nous décidons de rentrer à Siem Reap. En route, nous nous arrêtons au marché, pour acheter des kramas, le tissu-à-tout-faire traditionnel (serviette, écharpe, jupe, et que sais-je-encore). Nous arrivons dans le centre-ville ; il était temps : une tempête se prépare, et la pluie se fait déjà sentir. Nous nous engouffrons dans un bistrot pour prendre un "teuk-kro-lok", sorte de Danao® local. La première fournée est au durian, fruit-qui-pue difficilement comestible pour un non-initié ; devant nos têtes dégoutées, le patron nous propose d’en changer.

Ovni dans le ciel de Siem Reap.



Nous rentrons ensuite à la guest-house, après avoir rendu les vélos au passage et fait les cent derniers mètres sous des trombes d’eau. Pause. On plie bagage. Touk-touk pour l’aéroport, où comme de bien entendu nous arrivons beaucoup trop en avance. Comme tout le monde est déjà là, l’avion décolle avec une demi-heure d’avance. Deux heures de vol, et nous voilà sur le sol vietnamien, à 40 km de Hanoi : il est 21h15.

Le jeu consiste maintenant à aller dormir chez Jean-Babtiste, un de mes anciens camarades de promotion, et dont je vous disais récemment l’avoir retrouvé sur Facebook. Bordelais, il importe ici du vin pour une boîte montée par un Français (Celliers d’Asie®). Nous prenons donc un taxi, et roulons au milieu de panneaux publicitaires vantant tous les produits dernier-cri, le tout dans une zone étonnamment urbanisée : ce premier aperçu du pays de l’oncle Hô n’entre pas dans ce à quoi je m’attendais. Hanoi est une ville apparemment énorme, loin devant Phnom Penh dont les cinq-minutes en voiture environnantes sont déjà en rase-campagne. Le taxi nous dépose finalement au pied de l’hôtel Sheraton, où Jean-Baptiste et deux de ses collocs viennent nous chercher en moto. Leur maison, au bord du lac Giang Vo, est plutôt confortable, et l’accueil y est bon. Une parlotte, un verre de vodka, et tout le monde va se coucher.

Mercredi 7 mai : après réflexion sur notre programme des jours à venir, nous levons le pied à 11 heures, direction le vieux Hanoi pour y trouver des motos à louer. À midi, nous sommes prêts : trois motos pour cinq, avec des sacs allégés (le gros est resté chez Jean-Baptiste). En allant remplir nos réservoirs (ndlr: l’essence est sensiblement moins chère ici qu’au Cambodge), nous passons dans le quartier communément appelé "le Petit Paris" : ici, un théâtre qui ressemble à l’Opéra-Garnier, là, des rues bordées d’arbres et de villas coloniales : au premier abord, Hanoi est une belle ville ; nous en saurons plus lundi prochain (nous devons rendre les motos dimanche soir).
Il nous faut maintenant sortir de la ville, ô combien encombrée de deux-roues. Aujourd’hui, c’est le 54e anniversaire de la victoire-défaite de Đien Biên Phu, tout dépend du côté où l’on se place. Ici, pas de doute : c’est bien d’une victoire qu’il s’agit, et des banderoles jaune-sur-fond-rouge, à la gloire de l’armée vietnamienne, le rappellent partout dans les rues. Le 30 avril, c’était le 33e anniversaire de la chute de Saigon, et d’autres panneaux sont encore là pour nous le rappeler. Des faucilles et des marteaux à chaque poteau électrique ou presque, des effigies de Hô Chi Minh, des bâtiments administratifs de type stalinien, des pagodes centenaires, des maisons coloniales, des motos par milliers : good morning Vietnam !
Nous roulons donc vers l’Ouest et le village de Mai Chau, à 130 km de là, indiqué par Franklin (un des collocs de Jean-Baptiste) et où nous comptons dormir le soir. Nous déjeunons vers 3h dans un bouiboui-de-bord-route, où l’épreuve de la langue se fait d’emblée sentir. C’est au cours de ce déjeuner, arraché pour 4 dollars à coups de mimes et de sons bizarres, que Hugues a été promu négociateur-en-chef de notre club des cinq. Grâce notamment à son argument choc, sorti à chaque fois qu’on lui annonce un prix : "It’s a joke ?!", il conservera son titre jusqu’à la fin du périple. Jusqu’au bout également, à chaque instant ou presque, nous paierons le prix de Babel : rares sont les Vietnamiens à parler Anglais ou Français. La langue Vietnamienne (le quốc ngữ, inventée par le jésuite Alexandre de Rhodes au XVIIe siècle) a beau s’écrire en caractères latins, elle n’en demeure pas moins illisible : monosyllabique et tonale, elle est imprononçable pour qui n’y connaît rien (c’est notre cas). Ainsi le mot đay pourra signifier autant de choses que de tons (il y a six tons, de l’aigu au grave), et parfois de contextes : jute, avec aigreur, fond, plein, pousser, bourse, sac, voici, couvrir (suis-je clair ?). Néanmoins, comme partout en Indochine, on retrouve quelques mots Français : gara ôtô, ga tô, ca phé, dǎm bông (pour jambon – ndlr: le "d" se prononce comme un "z" ; le "đ" barré se prononce comme un "d"), patê, etc.
Bref. Nous filons toujours vers Mai Chau. Je suis très étonné de constater que les églises font ici partie du paysage ; construites pour la plupart à l’occidentale (une bonne partie d’entre elles date sans doute du temps de l’administration française), pour certaines monumentales, ces sortes de basiliques de Lisieux donnent aux campagnes vietnamiennes des airs de France.



Les routes n’ont par ailleurs rien à voir avec leurs homologues cambodgiennes : bitume partout, état excellent, lignes bien tracées, pas de voiture-avec-20-personnes-sur-le-toit, port du casque obligatoire, feux respectés (ou presque) ; bref, ce n’est pas l’anarchie, et le Vietnam est visiblement beaucoup plus développé que son voisin khmer.
Aux alentours de 17 h, nous arrivons à Hao Binh, où un barrage de 125 mètres de haut alimente en électricité tout le nord-Vietnam. Une route monte sur son flanc. De là-haut, l’ouvrage est impressionnant. La retenue d’eau forme un lac de 20 kilomètres de long. Un peu plus loin, sur une hauteur, nous apercevons une statue, qui pourrait bien être celle de Hô Chi Minh. La route, qui continue de grimper, semble y mener tout droit : nous n’y résistons pas. Nous avions bien vu : au pied de la statue haute d’une quinzaine de mètres, deux fonctionnaires prient leur père-à-tous.

Avec l'oncle Hô.



L’endroit est exceptionnel ; sa terrasse surplombe la ville à pic, et la vue sur la campagne et les montagnes environnantes est impressionnante.

"sa terrasse surplombe la ville à pic..."



Comme il est déjà tard, nous repartons presque illico pour tâcher d’arriver avant la nuit au point azimut. Peine perdue : la beauté des paysages, les dénivelés, les camions à doubler, les rares pauses, une crevaison à Muong Khéri nous feront arriver à la nuit noire à Mai Chau, dont nous ne verrons d’ailleurs rien. Là, une seconde crevaison, sur la même moto, nous retardent encore un peu. Nous cherchons maintenant un endroit où dormir ; Hugues entre en scène, et un type finit par nous conduire dans une guest-house très confortable, où nous avons notre propre bungalow tout en bois, avec douche chaude (ça ne m’était pas arrivé depuis la France !). Le dîner n’a rien d’aventurier : frites, riz à gogo, viande, légumes, pastèque, bière, et que sais-je encore. Nous sommes repus, et filons nous coucher dans une grande pièce ventilée où l’on nous a fait chacun un lit avec moustiquaires.

"les camions à doubler"



"...chacun un lit avec moustiquaires."



Jeudi 8 mai : petit-déjeuner grand luxe. Nous découvrons que notre guest-house est perdue dans un paysage splendide, bordé de rizières et de montagnes, et que des tisseuses d’écharpes, de foulards, de sacs, portefeuilles et autres babioles, sont installées sur place.

"petit-déjeuner grand luxe." (Hugues, Alix, Adrien, moi).



"...notre guest-house est perdue dans un paysage splendide."





Tisseuse.



Nous repartons dans la foulée, mais cette fois-ci vers l’est, direction le parc national de Cuc Phuong. Sur 32 km, à travers la montagne, nous reprenons la route d’hier, jusqu’à Muong Khéri. La vue est imposante.





Nous roulons sur les crêtes, en hauteur des rizières, qui forment en contrebas de grands plateaux serpentant entre les montagnes. Après une troisième crevaison (toujours sur ma moto), à une trentaine de kilomètres de Muong Khéri, nous entrons dans ce que les gens du cru nous disent être Cuc Phuong ; pourtant, nous ne voyons rien qui ressemble à des infrastructures touristiques. Nous rebroussons donc chemin. L’entrée officielle est en réalité à une quarantaine de kilomètres plus à l’est, aux abords de la petite ville de Nho Quan. Après quelques tensions de circonstance, nous atteignons enfin le but à 15h30. L’entrée dans ce qui est une des dernières forêts tropicales primaires au monde est naturellement payante… Nous y pénétrons en moto. Première étape : la grotte dite "de l’homme préhistorique". À pied, nous grimpons un escalier plutôt casse-gueule à flanc de falaise, et atteignons, une vingtaine de mètres plus haut, au niveau de la canopée, une grotte où ont été retrouvées en 1966 les traces d’une activité humaine.

Dans la grotte de l'homme préhistorique.



Dans cette forêt, le bruit est assourdissant : des bêtes hurlent, crient, chantent, s’égosillent ou s’époumonent, tandis que d’autres gazouillent, barytonnent, cancanent ou caquètent. Après Phnom Penh, c’est je crois le lieu le plus bruyant que nous ayons fait du voyage. À cette cacophonie générale, la pluie vient bientôt ajouter ses flics, ses flacs, et ses flocs. Juste avant le déluge, nous passons voir ce qui est fléché comme "the big tree" : il s’agit tout bonnement d’un arbre apparemment plus gros que ses voisins, mais dont on ne voit rien d’autre que le bas du tronc, le reste étant caché par la jungle environnante (10 minutes de marche à travers la forêt – seuls Sophie et moi y sommes d’ailleurs allés -). Retour aux motos, et la pluie menaçante tout à l’heure s’est maintenant mutée en hallebardes. Je ne vois à peu près rien, et les autres filent à toute allure. Sans mal au final, nous nous retrouvons tous abrités sous le guichet à l’entrée du parc, tandis qu’un rideau de pluie s’abat maintenant de plus belle. Nous sommes trempés, et décidons de nous poser dans la première guest-house venue. Profitant de ce que j’ai du mal à appeler une accalmie, nous voilà repartis. Deux kilomètres, et Hugues se met au travail : nous dormirons ici pour 175 000 dongs (1 € = 25000 dongs), dîner et petit-déjeuner compris. Une sorte de soupe avalée et une partie de tarot vite faite, et nous voilà au lit. Ronron.

Au pied d'un monument aux morts, sur la route de Cuc Phuong.



Se faire expliquer la route.



Dans le parc national de Cuc Phuong : trempés.



Vendredi 9 mai : vers 6h30, je me réveille naturellement, et suis surpris de voir mes bras et mes mains apparemment ensanglantés. Et il y a du sang par terre. Sur mon matelas également. Je me regarde dans la glace, et constate que mes cheveux sont eux-aussi tout en sang. Je réveille Hugues, et lui demande de regarder. Il ne voit rien. Je lui sors cette phrase devenue depuis légendaire : "Je me sens bien : ça m’inquiète d’autant plus". C’est vrai, après tout, comment ne pas être étonné d’avoir saigné sans explication ? Je me lave la tête, et il y a effectivement une petite plaie, qui, me dit-on, aurait saigné pendant la nuit, et voilà tout. J’imagine qu’il y a peut-être une petite bête, genre tique ou sangsue, qui me serait entrée dans le crâne. Je vais demander à l’entrée du parc : ils me disent que ce n’est rien. Je vais au health care center du coin : même chose, mais me font tout de même un pansement avec du coton et du scotch de bureau. Bref. N’en parlons plus, mais c’est quand même bizarre.

Déjeuner sur la route de Hao Lu (j'ai mon pansement sur la tête).



Avec tout ça, nous levons le pied à 8h30, direction Hoa Lu, et sa "baie d’Along terrestre". La route est belle. Dans ce coin de Vietnam, les montagnes se font plus rares, sauf à cet endroit, où des pitons rocheux surgissent çà et là au milieu des rizières baignées de canaux. Je laisse Sophie, Adrien, Alix et Hugues faire un tour en sampan, la barque à fond plat locale (le site est très bien aménagé pour les touristes), et vais faire un tour dans Ninh Binh, la grosse ville d’à côté.

La "baie d'Along terrestre".



À midi et demie, je les retrouve, et nous voilà repartis ; le but est maintenant d’aller dormir à Do Son, station balnéaire sur la Mer de Chine.

Au bord d'un lac, du côté de Haiphong (Adrien, Hugues, moi, Sophie).



Sur un bac, du côté de Haiphong.



Vers 18 h, nous arrivons à Haiphong ; c’est là qu’éclata la guerre d’Indochine en décembre 1946. Sortie des bureaux : des milliers de motos se pressent dans les rues. Dans cette marée humaine, au guidon, nous nous en donnons à cœur-joie. Sur le panneau, il nous reste 21 kilomètres. La route, deux-fois-deux-voies séparées par un terre-plein central avec fleurs et buis taillés au peigne fin, est incroyablement guindée pour un pays socialiste. Du moins, le Vietnam m’est loin de l’image que l’on pourrait avoir d’un pays socialiste ; on le dirait à l’abri de la sclérose soviétique. Au bout de la route, on se croirait dans la baie de Cannes. Des hôtels dernier-cri sont sagement alignés le long d’une Promenade des Anglais bien tenue, avec illuminations et tout le tralala. La mer est déchainée, mais nous y sommes. Hugues négocie une chambre pour quelques dollars. De là-haut, nous voyons la mer, et le must : nous avons TV5. Que demander de plus ? Pour le dîner, la bonne femme qui tient le resto est prête à s’arracher les cheveux devant les conditions de notre négociateur-en-chef ; qu’à cela ne tienne, nous mangeons pour pas cher. Tout le monde au pieu.

Samedi 10 mai : petit-déjeuner au même endroit qu’hier soir, puis : temps libre. TV5 pour certains, plongeon dans le Golfe du Tonkin pour d’autres (sous la pluie). Lever de pied vers 11h30, direction la baie d’Along, à une petite centaine de kilomètres plus au nord. Nous roulons, et roulons encore. Nous sommes maintenant aux portes de la baie d’Along, et une île, reliée au continent par une immense digue, s’offre à nous. Il parait que Hô Chi Minh avait ici une maison, et qu’il voulait faire de cet endroit un lieu de vacances populaire. Il doit se retourner dans sa tombe le pauvre homme : des quartiers privés, avec villas et tout le toutim semblent y pousser comme des champignons au pied d’hôtels de luxe. Bien vite, nous rebroussons chemin, d’autant que nous ne sommes pas vraiment à Along. Nous y arrivons pour déjeuner, ou plus exactement à Bãi Cháy, Ha-Long étant en fait l’ensemble de deux villes (Bãi Cháy et Hon Gai), séparées par un détroit, et reliées depuis peu par un magnifique pont suspendu, en forme de jonque et financé par les Japonais.

De Bãi Cháy, le spectacle est impressionnant. Au fond de la baie, comme autant de soldats d’une armée fossilisée, des pitons rocheux par dizaines (il y en aurait 2000 en tout) surgissent de la mer. Dans ce décor de carte-postale, souvent décrit comme la 8e merveille du monde, nous trouvons un hôtel avec vue sur la baie.



Classée au patrimoine mondial par l’Unesco, la baie d’Along est aménagée comme il se doit pour les touristes. Des bateaux très confortables aux prix parfois astronomiques se suivent à la queue leu leu, dans un va-et-vient permanent entre le continent et le large. Peu enclins à passer par les opérateurs officiels, nous cherchons un moyen détourné de nous approcher de ces aiguilles d’Etretat locales. Nous finissons par trouver un type qui veut bien nous y emmener le lendemain matin : trois heures de balade tout compris moyennant 45 dollars pour cinq. On ne trouvera pas mieux. Rendez-vous est donc pris pour le lendemain 8h. Nous sommes ravis. Dîner. Baignade pour ceux qui veulent (moi). Coucher.

Dimanche 11 mai : petit-déjeuner. Nous sommes à 8 h pile à l’endroit convenu, et le type nous attend. Nous voilà donc partis, seuls sur le seul petit bateau de la baie (les autres, grands et confortables, sont ceux du canal officiel). Il faut une bonne demi-heure de traversée pour arriver à la première grotte. Et là surprise : "Ticket please". "Ben… on nous a dit que tout était compris, notamment les deux grottes principales dont celle-là". Il y a là deux fonctionnaires du Parti, qui ne sont visiblement pas prêts à se faire corrompre : inutile de discuter. En voilà d’ailleurs un qui veut appeler les flics : "Puisqu’on vous a dit que c’était compris et que l’on ne vous a pas donné de ticket, il y a litige." Pas tort le bonhomme, mais le problème est que nous ne sommes pas passés par les compagnies autorisées : ça ne vaut donc peut-être pas la peine d’aller jusque-là. Nous préférons payer plutôt que d’attirer des ennuis à qui que ce soit. Et nous voilà donc dans la queue, au-delà du check-point. Il y a là plus de monde que sur les Champs-Elysées le premier jour des soldes. La foule avance en file indienne, à pas presque cadencés. La grotte, sans doute belle du temps de sa tranquillité éternelle, est aujourd’hui éclairée comme des dents chez le dentiste. Un parcours balisés au milieu de stalagmites me donne l’impression de faire du train-fantôme en plein jour. De fait, ça fait peur. La grotte est malade : elle a la touristite aiguë. Une fois à l’air libre, nous nous mettons à chercher notre bateau. Tâche difficile que de s’y retrouver dans cette apocalypse maritime : des bateaux en veux-tu en voilà tentent bien que mal de vomir leurs passagers sur le débarcadère, dans un micmac de marches avant-marches arrière et d’odeur de gazole.
Enfin, nous repérons notre embarcation de fortune. Le gars nous dit de nous planquer dans la cabine. Houlala. "Qu’est-ce’t’affaire ?" Nous n’avons pas fait 50 mètres que la police est déjà à nos trousses. Scénario catastrophe ? Notre marin, sensiblement affolé, nous fait débarquer sur un bateau officiel, qui doit appartenir à un de ses potes parce que nous l’avions vu hier juste à côté du sien. Et voilà que nous poirotons là, au milieu d’un périphérique parisien de la mer. Les flics sont à bord, et boivent maintenant un coup avec notre capitaine ; on ne nous dit rien. Avons-nous simplement quelque chose à nous reprocher, si ce n’est d’avoir demandé à un type de nous emmener ici et qui a accepté alors qu’il n’avait pas le droit et que nous ne le savions pas ? (suis-je clair ?). Une heure passe. Une heure et demie. Et voilà le bateau qui démarre, alors que d’autres touristes sont montés à bord. Allons-nous faire le tour officiel, dans un bateau officiel, sans en avoir payé le prix officiel ? Que nenni. On nous débarque cinq minutes plus loin sur notre barcasse, qui nous ramène à bon port, trois heures et demie après le départ, et alors que nous n’avons au final quasiment rien vu. Sommes-nous fait avoir ? Pour certains oui. Mais je plaiderais volontiers la promenade atypique en baie d’Along, à un prix défiant toute concurrence ; de plus, les flics et tout le tsouin tsouin qui va avec nous ont pimenté cette banalité touristique qu’est la baie d’Along.

Notre embarcation de fortune, et le zodiaque de la police en train de partir.



"Et voilà que nous poirotons là, au milieu d’un périphérique parisien de la mer." (Sophie, Hugues, Adrien).



Tandis qu’Hugues et moi, pour essayer de nous faire rembourser (sait-on jamais ?), attendons le type qui avait arrangé l’affaire avec notre pêcheur (il ne viendra jamais), les trois autres vont chercher sacs et motos à l’hôtel. Avant de reprendre la route pour Hanoi où nous devons rendre les motos ce soir, nous faisons un dernier plouf dans la baie. Il est environ 14h30, et il nous reste 200 km à faire. Nous roulons et roulons encore. Brève pause pour déjeuner. Roulez jeunesse. Et Hanoi est à nous. Tous à deux doigts de la panne d’essence, nous entrons dans la ville à 18 h tapantes, par le pont Long Bien, anciennement Paul-Doumer (1682m), du nom du Gouverneur général de l’Indochine de 1896 à 1902 qui l’inaugura. Il nous reste une heure pour retrouver le loueur de motos. Un coup d’œil par-dessus la barrière de l’espèce de rocade sur laquelle nous venons de débarquer, et nous sommes juste à côté. Au compteur, nous avons fait 774 km depuis mercredi midi. Question moto, aucun problème : le type n’ergote même pas pour les deux plastiques que nous lui avons cassés. Nous sommes maintenant à pied, et il nous faut trouver un hôtel. Ce sera celui-là, à deux pas du lac Hoan Kiem, en plein vieux-Hanoi. Quelle ville ! Place de la cathédrale, au milieu de laquelle trône une Vierge, nous trouvons un confortable resto. Au premier étage, sur cette place arborée, lorsque les cloches se mettent à sonner, je vous assure qu’on se croirait en France. D’autant que je ne vous en ai pas encore parlé, mais il fait ici beaucoup plus frais qu’à Kompong Cham, 1700 km plus au sud. Après le dîner, Sophie, Alix et moi allons récupérer nos affaires restées chez Jean-Baptiste, pour être libres de visiter la ville demain.

La cathédrale de Hanoi





Au retour, nous nous arrêtons à la gare ("ga Hà Nội" en local) pour voir à quelle heure sont les trains pour Hô Chi Minh-Ville. Il me faut en effet maintenant rentrer au Cambodge, d’autant que tout le monde repart à Paris demain soir (sauf Hugues qui rentre à Manille mercredi). J’envisage de faire escale à Hué, mais comme j’apprends qu’il faut 38 heures pour rejoindre les deux principales villes du Vietnam et que j’ai dit que je serai de retour à Kompong Cham le 15, le projet tombe aux oubliettes. Il y a un train tous les jours à 15h45 ; c’est celui-là que je prendrai demain.
Vers 22h30, nous retrouvons Hugues et Adrien à l’hôtel, et partons dans la foulée boire un coup au coin de la rue. Retour au bercail, et au lit tout le monde.

Lundi 12 mai : je profite d’un petit-déjeuner avec Sophie pour écrire quelques cartes-postales. Nous partons ensuite tous deux à la recherche de ce qui s’appelait encore en 1954 "Hôpital Lanessan", et qui était l’hôpital militaire français de Hanoi. C’est là que notre grand-père est mort en juillet 1954. Nous passons sur l’Internet où l’on apprend qu’il a été fermé suite aux Accords de Genève, puis rouvert sous le nom d’"Hôpital 303", pour être rebaptisé ensuite "Hôpital de la Croix-Rouge soviétique". Couac : ces noms ne disent rien aux gens du coin. Après quelques va-et-vient, nous faisons escale à l’ambassade de France, où l’on nous dit qu’on trouverait des plans de Hanoi du temps des Français au Temple de la Littérature. Cet ensemble architectural aux toitures élégantes fut fondé en 1070 et placé sous la protection de Confucius ; c’est la première université nationale. Situé dans un joli parc, c’est un havre de paix au milieu des nuages de deux-roues qui déambulent tout autour. À toute vitesse, nous n’y trouvons pas les cartes ; une fille qui travaille là nous apprend que l’exposition dont on nous a parlé était temporaire. Dans un Français plus qu’honorable, elle nous aide à retrouver trace de l’Hôpital Lanessan. Vieux grimoires et Internet viendront ici à bout de notre enquête : l’Hôpital Lanessan s’appelle aujourd’hui "hữu nghị" (ou "Hôpital de l’amitié vietnamo-soviétique" si j’ai bien compris) ; il est situé sur les quais, au bout de la rue Lý Thường Kiệt. Un motodop, et c’est parti. Sauf erreur de ma part, l’hôpital, toujours militaire, est destiné aux vétérans du Parti. Le concierge nous fait comprendre que nous ne pouvons pas entrer. Un jeune venu visiter un malade, et qui parle à peu près Français, nous donne un coup de main : nous pouvons maintenant entrer à condition de ne pas prendre de photos. De l’ancien hôpital, il ne reste aujourd’hui quasiment rien. Seul, le dernier bâtiment subsistant est en passe d’être démoli pour quelque chose de plus moderne. Il était donc temps pour nous. Ce jeu de piste dans Hanoi nous aura valu d’arpenter la ville dans tous les sens.

Nous retrouvons les autres à l’hôtel à midi et demie, et nous partons tous pour un dernier déjeuner au coin de la rue. Alors qu’Alix reste attablée à faire son courrier, nous autres partons bientôt pour la gare. En passant, nous entrons dans la cathédrale, de style néo-gothique. Nous poursuivons notre route, et me voilà bientôt au guichet, demandant un ticket pour Hô Chi Minh-Ville. Ce sera la 2e classe (il y en a une 3e, mais les sièges y sont en bois). Dernier pot au café de la gare, et nous voilà maintenant sur le quai n°1 (payant pour les accompagnateurs), où mon train attend déjà. Le chef-de-wagon me fait comprendre que j’en ai non pas pour 38 heures, mais pour 41 heures. Pas parti que déjà trois heures de retard…
Je m’installe maintenant dans ma nouvelle maison à roulettes, qui part à l’heure.



Tchou tchou. Le 17e parallèle, Hué, la route mandarine : à flanc de montagnes ou le long de plages encore vierges, à travers des plaines immenses ou dans des forêts vierges, nous filons vers le sud à 45 km/h de moyenne. La voie est unique, et il faut parfois nous arrêter pour laisser passer le train d’en face. Après près de 2000 km parcourus, 1 giga de musique passé dans mes oreilles, quelques dizaines de pages des Bienveillantes lues ; après une fin d’après-midi, une nuit, une journée complète, et une seconde nuit ; après, enfin, le Tonkin et l’Annam, nous voilà maintenant en gare de l’ancienne Saigon, capitale de la Cochinchine qui fut sous les Français la seule des provinces indochinoises à recevoir le statut de colonie (les autres étaient des protectorats).

Nous sommes mercredi 14 mai, il est 8 h du matin.

La gare est bien tenue ; des motodops en uniformes attendent sagement les passagers. Je file avec l’un deux vers le centre-ville. Je longe le Palais de la Réunification, ancien Palais du Gouverneur général, bombardé en 45, et reconstruit en 1966 pour le président du Sud-Vietnam.

Palais de la Réunification.



Le motodop m’arrête devant le consulat des États-Unis, ancienne ambassade, d’où, en 1975, en hélicoptère et dans une panique générale, fuirent les derniers ressortissants américains. C’était le 30 avril, juste avant que le gouvernement sud-vietnamien ne capitule devant les Communistes, mettant fin à trente années de guerre. Je passe ensuite à la cathédrale Notre-Dame, à deux pas de là : on se croirait à Toulouse.



Juste à côté, la Poste centrale, inaugurée en 1891, a des airs de gare d’Orsay ; un portrait de Hô Chi Minh y trône en bonne place.



Un peu plus bas, j’emprunte la rue Dồng Khới, anciennement Catinat, où les magasins de luxe (dont Louis Vuitton) se mélangent aux faucilles et aux marteaux des banderoles officielles. Drôle de pays. L’opéra, l’Hôtel Rex (où les Américains donnaient leurs conférences de presse), l’hôtel de ville (copie en plus petit de celui de Paris), et enfin une librairie où je retrouve en vente un tas de vieux bouquins estampillés "Centre Culturel Français de Saigon"…
A 11h30, je prends mon bus pour Phnom Penh. Cinq heures et demie de voyage, via Trận Bảng, où fut prise, en juin 1972, lors d’un bombardement américain au napalm, la fameuse photo de cette fillette hurlant et courant nue, et qui, dans la guerre d’opinion qui sévissait alors, coûta cher aux États-Unis.



Il nous faudra une heure également pour passer la frontière, et une demie pour traverser le Mékong en bac, à Neak Lueung. Il est 17 h quand j’arrive sur Monivong Boulevard, avec 3000 riels en poche ; juste assez pour me payer le motodop jusqu’à la maison des coopérants. Il était temps que ça s’arrête…
Le soir, je dîne dans un chinois avec Philibert, Antoine, un certain Kevin qui vient d’arriver pour remplacer Irad (le volontaire médecin), et une certaine Adèle, volontaire à Saigon, bloquée ici le temps de refaire faire ses papiers qu’elle s’est fait voler à la maison des coopérants (c’est la quatrième fois depuis que je suis là que la maison est cambriolée).

Jeudi 15 mai : à 13h45, je reprends le bus pour Kompong Cham, et m’y voilà trois heures et demie plus tard, et 73 heures et demie après avoir quitter Hanoi…

Vendredi 16 mai : RAS, hormis que Marie et Rémi (qui tiennent le magasin Up to You à Phnom Penh) s’annoncent pour le week-end.

Samedi 17 mai : Marie et Rémi débarquent vers 10 h. Je leur fait découvrir le coin (redécouvrir pour Rémi) : quartier musulman, Phnom Pro Phnom Srey, Vat Nokor, la piste d’aéroport : du grand classique en quelque sorte. Dans tout ça, je reçois un coup de fil de Ronan (voir plus haut), qui s’annonce pour le lendemain.

En montant le Phnom Srey.



Avec Marie et Rémi.



Dimanche 18 mai : messe à Koh Roka, à 7 km de Kompong Cham. Dans la foulée, nous en profitons pour aller voir les ateliers de tissage, situés juste à côté, et où Up to You s’approvisionne en kramas. Vers 14h30, Rémi et Marie s’en repartent pour Phnom Penh ; de mon côté, je récupère Ronan au pied du pont vers 15h30. Petit tour en moto dans la ville, dîner, et projection de Dhoom 2 pour les gamins des foyers (en Khmer pour une fois). Ce film de Bollyhood, réalisé en 2006 par Sanjay Gadhvi, rassemble, entre autres, Abhishek Bachchan, Hrithik Roshan, et Aishwarya Raï.





L’histoire d’user nos dernières forces, nous passons chez Franck, le Rennais qui tient un bar en front de fleuve.

Voilà. Ma 40e semaine s’achève ici. Pour conclure, quelques chiffres sur la guerre au Vietnam entre 1945 et 1975 :
Guerre d’Indochine (1946-1954) :
- Coût : 3000 milliards de FF courants, soit 10% du budget de l’Etat pendant 10 ans, entre 1945, quand le corps expéditionnaire commence à reprendre pied en Indochine, et 1955, lorsque les principales unités seront rapatriés ; soit une année entière de dépenses budgétaires.
- 500000 morts et disparus.
- 20000 Français tués.

Guerre du Vietnam (1963-1975) :
- Coût : entre 300 et 500 milliards de dollars courants.
- 52000 GIs tués.
- 400000 sud-vietnamiens tués.
- 900000 Viêt-Cong tués.
- 8 millions de sorties en hélicoptère pour débusquer "Charlie".
- 74 millions de litres de défoliant déversés sur près de 20% du territoire, dont le fameux agent orange, qui continue encore aujourd’hui de tuer (il y a d’ailleurs un tronc pour ses victimes à la frontière).
- 100 000 tonnes de napalm balancées.
- 7 millions de tonnes de bombes larguées par les Américains (à titre de comparaison, tous fronts confondus, il y en eut 4 millions pendant la Seconde guerre mondiale).


Et la pensée de la semaine : "J'aime l’odeur du napalm le matin. Tu sais, une fois on a bombardé une colline, pendant douze heures. Quand tout a été terminé j'y suis allé. On n'en a trouvé aucun, pas le moindre morceau de leur corps puant. L'odeur, tu sais, cette odeur d'essence, sur toute la colline. Ça sentait... la victoire"… [Extrait du film Apocalypse Now, réal. Francis Ford Coppola, 1979 – c’est ici Robert Duvall qui parle (dans le film, Lieutenant Colonel Bill Kilgore)].


Paix à la société des hommes.

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