« Bonjour à tous,
Déjà samedi ! Joyeux Noël à tous ! Ici, c’est Noël avant l’heure. Pays bouddhiste oblige, le 25 décembre est à peu près inconnu au bataillon. Du coup, chacun s’adapte comme il peut, et les messes de la nativité commencent aujourd’hui. Je dis "les messes" parce qu’il y a plusieurs villages à couvrir, et donc plusieurs messes. Mgr est parti dans ses provinces habituelles, et ne reviendra qu’en fin de semaine prochaine. Une semaine sur les routes cambodgiennes à fêter Noël avec différentes communautés. Le Père Vogin, vicaire général, prend en charge Kompong Cham (dont il est d’ailleurs curé), pendant que le Père François Hemelsdael et moi allons à Phum Thmey cet après-midi.
L’église de Phum Thmey, à la saison des pluies, et avant la construction de la salle paroissiale (où je donne mes cours d’Anglais).
L’église de Phum Thmey aujourd’hui.
Mon premier Noël extra-familial. Mon premier Noël à l’étranger. Mon premier Noël sous 30°C. Combien sont loin les vitrines du Boulevard Haussmann ! Si quelques églises évangéliques (il y en a 17, rien qu’à Kompong Cham !) ont bariolé leur portail de guirlandes clignotantes, ça ne va guère plus loin. Au siège de la préfecture apostolique, nous avons décoré le jardin, et décalé la messe d’une journée pour cause de mariage juste à côté qui risquait de déclencher une guerre sonore. Bref : un Noël intertropical, à la khmère chez les Khmers.
Mais que vous dire de ma dix-huitième semaine, puisque je suis là pour ça ? Le climat cambodgien nous offre ces temps-ci de profiter des plus belles journées de l’année : soleil généreux, température idéale, peu de vent. Le Cambodge en est à son apogée climatique. Le Cambodge est un beau pays. Et Kompong Cham me dévoile peu à peu des charmes insoupçonnés. A force de la parcourir, je finis presque par m’y croire en ville. Construite par les Français, elle dessine un hémicycle au bord du Mékong, avec au perchoir la résidence du Gouverneur, maison de style Louis XVI, aujourd’hui siège du conseil provincial.
J’empiète sur ma chronique de la semaine prochaine, mais je dois vous raconter combien le monde est petit. La semaine dernière déjà j’avais essayé de trouver quelque part dans Kompong Cham un médecin français sur lequel un article était paru dans le Journal du Centre d’il y a quinze jours (suis-je clair ?). Peut-être vous demandez-vous si je lis régulièrement sous mes latitudes ce journal régional français ? Il n’en est rien. Simplement, j’ai mes informateurs, à savoir mes parents, qui lisent ce canard quand ils sont dans la Nièvre. Quid de cet article ? Il y était dit que ce médecin venait pour un mois former des kinés à l’hôpital de Kompong Cham ; de quoi me donner l’envie de le rencontrer. J’ai donc fini par le trouver, en compagnie de sa femme. Non seulement il sont très sympas, mais en plus il habitent Donzy, charmante bourgade nivernaise d’où est originaire mon grand-père maternel, et où j’ai passé et continue de passer une partie de mes vacances ! Vous auriez vu sa tête quand, cash, je lui est sorti quelque chose du genre : "Bonjour docteur. Ravi de vous trouver enfin, je me présente patati patata, et j’ai vu un article sur vous dans le Journal du Centre de la semaine dernière". Bref. Je ne sais plus si c’est le monde qui est petit, la France qui est grande, ou Donzy qui...
Mais vous avez raison : revenons à la dix-huitième semaine. Les jours ouvrables, hormis un concert promotionnel au stade municipal financé par Honda, rien de particulier. En revanche, je m’étalerais volontiers davantage sur samedi, journée un peu plus agitée.
Avec d’autres, Dimitri et Antoine ont débarqué à Kompong Cham ; l’après-midi, nous avions prévu d'aller visiter les missions du Père Ponchaud, à une quarantaine de kilomètres de là. Le Père Ponchaud est un sacré bonhomme. Arrivé au Cambodge en 1965, il est des étrangers qui connaissent le mieux l’Histoire et la langue khmères (il y a peu, lorsque Hun Sen rendit visite à Chirac, c’était lui l’interprète). Hormis un travail de titan sur le terrain, le Père Ponchaud est reconnu comme celui qui a révélé au monde le génocide des Khmers Rouges. Et pour cause : dès l’été 1976, il se prit à écrire "Cambodge année zéro", ouvrage dans lequel il décrit, à partir de témoignages de réfugiés et de radio Phnom Penh, ce qu’il en est réellement de la vie au Cambodge sous le nouveau régime, jusque là plutôt bien accueilli par une partie de l’intelligentsia occidentale. Le livre, paru en 1977, est encore en vente aujourd’hui sur la plupart des marchés cambodgiens ; nombreux sont les vendeurs à la sauvette qui le proposent parmi de rares autres, dont celui, à succès également, de François Bizot, "Le Portail".
Les missions du Père Ponchaud sont au bout du monde. Des kilomètres de pistes. Des nids-de-poule par centaines. De la poussière à couper au couteau. Des paysages à couper le souffle. Au garde-à-vous dans les rizières, les palmiers à sucre y dressent leurs silhouettes élancées et chevelues. Là, au milieu de nulle part, surgit un village et sa mission. Soutien scolaire, construction d’écoles ou de salles de classe, travaux d’irrigation et d’agriculture, creusement de réserves d’eau : autant d’ingrédients, en plus de l’animation spirituelle, qui montrent que l’Eglise a bien les pieds sur terre, et met le paquet sur l’éducation et le développement. Les missionnaires se mettent ici au service des autres, dans des coins dont tout le monde se fout ; c’est précisément cela qui me fait dire que même en dehors de considérations religieuses, l’Eglise est une institution valeureuse. Elle est une Internationale qui tient la route. Son modèle organisationnel a beau agacer certains ou susciter la méfiance et la suspicion, il lui offre une grande marge de liberté et ainsi de pouvoir oeuvrer partout, au service des autres.
"[...] au terme de mon propos, et à quelques jours de cette fête de Noël qui est toujours un moment où l’on se recentre sur ce qui est le plus cher dans sa vie, je voudrais me tourner vers ceux d’entre vous qui sont engagés dans les congrégations, auprès de la Curie, dans le sacerdoce et l’épiscopat ou qui suivent actuellement leur formation de séminariste. Je voudrais vous dire très simplement les sentiments que m’inspirent vos choix de vie. Je mesure les sacrifices que représente une vie toute entière consacrée au service de Dieu et des autres. Je sais que votre quotidien est ou sera parfois traversé par le découragement, la solitude, le doute. Je sais aussi que la qualité de votre formation, le soutien de vos communautés, la fidélité aux sacrements, la lecture de la Bible et la prière, vous permettent de surmonter ces épreuves. [...] Ce que je veux vous dire ce soir, [...] c’est l’importance que j’attache à ce que vous faites et à ce que vous êtes. Votre contribution à l’action caritative, à la défense des droits de l’homme et de la dignité humaine, au dialogue inter-religieux, à la formation des intelligences et des cœurs, à la réflexion éthique et philosophique, est majeure. Elle est enracinée dans [...] une diversité souvent insoupçonnée, tout comme elle se déploie à travers le monde. Je veux saluer notamment nos congrégations, les Pères du Saint-Esprit, les Pères Blancs et les Sœurs Blanches, les fils et filles de la charité, les franciscains missionnaires, les jésuites, les dominicains, [...] toutes ces communautés, qui, dans le monde entier, soutiennent, soignent, forment, accompagnent, consolent leur prochain dans la détresse morale ou matérielle. En donnant [...] dans le monde le témoignage d’une vie donnée aux autres et comblée par l’expérience de Dieu, vous créez de l’espérance et vous faites grandir des sentiments nobles."
Vous l’aurez compris, ces mots ne sont pas les miens. Ils sont ceux de Nicolas Sarkozy, jeudi dernier, au Palais du Latran, lors de son entrée dans le chapitre de la cathédrale romaine. Comme je n’en pense pas moins, je rends hommage à notre loulou national d’avoir eu l’audace de les sortir.
Voilà. Je m’arrête là. Une précision : je ne garantis pas de vous rejoindre la semaine prochaine: je pars vendredi matin, direction Angkor et 2008 ! Ceci dit, vous en savez déjà pas mal sur ma dix-neuvième semaine qui est presque finie. Quoiqu'il en soit, je ne vous oublie pas, et tâche de m’y remettre dès janvier. D’ici là, je vous souhaite un bon Noël, en famille ou ailleurs ! »
La pensée de la semaine : "Quand il y a du riz qui moisit dans la cuisine, il y a un pauvre qui meurt de faim à la porte" (proverbe chinois). »
Friday, December 21, 2007
Friday, December 14, 2007
Semaine 17 : j’ai passé la cinquième.
(blabla)
« Bonjour à tous,
Dix-sept semaines. Cent dix-neuf jours. En comptant mon premier week-end, jusque là oublié, on arrive à cent vingt-et-un jours, soit un tiers d’année. Un tiers d’année passé entre le 10°30 et le 12° de latitude Nord, quelque part, aux alentours du 105° Est. Si loin. Si différent. Si enrichissant aussi. Me croira-t-on si je dis que je me suis enrichi ? Et pourtant, il faut me croire : la khméritude est une expérience enrichissante. Dix-sept semaines passées quelque part sur la Terre, sur notre belle planète. Quatre mois au bord du Mékong, le fleuve nourricier de l’Asie. Cent vingt-et-un jours au Cambodge, un pays qui se réveille peu à peu de son Histoire meurtrie par les caprices des Hommes.
Et voilà que ce soir, je me prends une fois encore au jeu des doigts qui courent. Nous sommes mercredi soir, et il règne un calme plat à Kompong Cham, presque inhabituel. Les touches s’enfoncent une à une, perçant la nuit de leur bruit sec et court. C’est le bruit de mon aventure qui galope. Au loin, elle se rapproche. Au loin, elle prend forme. Les mots s’y accrochent peu à peu, et plus elle avance, plus je me la rappelle. À l’instar de beaucoup d’autres, cette dix-septième semaine fut en somme plutôt calme. En grande partie, je l’ai passée entre mon bureau partagé de Kompong Cham et l’église de Phum Thmey, où je continue de faire le prof d’Anglais tous les jours à 4 heures.
J’aime ce cours d’Anglais. J’aime la piste qui m’y mène et ses paysages quasi-spirituels. J’aime ces moutards de villages avachis par terre à essayer d’écrire, de répéter, et de comprendre. J’aime ce cours d’Anglais : c’est ma cure de jouvence quotidienne.
Pendant ce temps, tel un Mékong se vidant de ses eaux estivales, le temps continue de couler à vive allure, emportant dans ses eaux déchaînées les heures dont j’aurais parfois tant besoin. Aussi, sans même s’arrêter un instant, ce temps qui passe me conduit à samedi, journée qu’il me faut vous raconter un peu plus en détails. Première chose : aller au marché, acheter de quoi dîner ; ce soir, je suis de cuisine: "kniom tfeu mohob baraing". Légumes, fruits, viandes, lait, oeufs, et j’en passe. D’emblée, je mets la main à la pâte à crêpes, qu’il convient parait-il de faire reposer. Ensuite, le Père François (le nouveau) et moi avions prévu de courte date d’emmener les gamins de Phum Thmey à Chup, la plantation d’hévéas dont je vous ai presque maintes fois déjà parlé. Croirez-vous que je fais tout le temps la même chose ? Chup, chup et rechup ? S’il est vrai que Chup a effectivement des airs de ter repetita, j’y reviens, les plantations d’hévéas sont comme le pain à table : on ne s’en lasse pas. Ces forêts dessinées par les hommes ont beau être rectilignes à perte de vue, elles n’en demeurent pas moins envoûtantes et sublimes. Pour ce qui est de la sortie, rendez-vous fixé à 11 h devant l’église, après avoir embarqué la novice de Kompong Cham, et Lokta, le gardien de l’évêché qui a travaillé longtemps à Chup, ravi de jouer le guide le temps d’une journée.
Avec seize enfants d’attaque, nous voilà vingt dans le van du diocèse, direction l’usine de caoutchouc, à une trentaine de kilomètres au-delà du Mékong; en chemin, nous nous arrêtons déjeuner dans un bouiboui de bord de route (voir ci-dessous).
La grande tablée.
Lokta, notre guide, en plein exercice.
Peu habitués aux sorties culturelles, les gamins semblent avoir apprécié la visite. En fin de chaîne de production, nous avons fait la connaissance de Monsieur Yeung, le directeur, qui parle un Français excellent. C’est ainsi que j’ai pu en apprendre un peu plus sur Chup, qui n’a décidément pas fini de me dévoiler ses secrets. Contrairement à ce qu’un premier informateur m’avait dit (et dont je m’étais fait le rapporteur dans je ne sais quelle chronique précédente), Chup totalise non pas 6000 hectares, mais 22735, dont environ 40% sont en permanence exploités. Elle n’en demeure pas moins la plus grande plantation du Royaume. Aujourd’hui propriété de l’Etat, elle a été fondée en 1922 par les Français. Si tout ou partie des machines a été changée depuis, la moitié de l’usine et de ses installations date de cette époque.
Après la visite, nous voilà repartis, direction les abîmes forestiers, où nous nous immergeons un peu avant de repartir. Cette fois-ci, je prends le volant, et, après quelques hésitations, passe bientôt la cinquième.
En voiture Simone !
Joies simples ou non, je redécouvre avec plaisir les sensations presque oubliées de la conduite. Je roule à la cambodgienne, doublant sur coups de klaxon et de voitures en face. Avec ses enfants qui traversent, ses chiens avachis, ses vaches qui surgissent, ses poules affolées, ses nuages de poussières et ses cabosses tape-cul, la piste de Phum Thmey a des airs de piste noire. Je plane au bout du monde, au volant d’un vaisseau qui crache une fumée de poussière. Retour finalement sans encombre, avant de me mettre aux fourneaux. Ah les joies de la popote ! Au menu : poêlée paysanne, crêpes, salades et bananes frites. Riz y es-tu ? M’entends-tu ? Que fais-tu ? "Je suis au placard". Ah ça non jamais ! Un Khmer mange du riz à tous les repas ! Et voilà Sokchear la cuisinière, à l’affût, qui fait cuire du riz, monopolisant un feu au passage. La guerre des fourneaux a éclaté. La voilà qui point son nez au milieu des épluchures et des crêpes en couveuse. Il n'empêche: vu la plâtrée en composition, le riz sera ajourné (ou alors mangé en cachette dans un coin). Au dodo tout le monde, la digestion ne sera pas facile.
Dimanche matin, après la messe de 7 h (trop tôt j’en conviens), direction un village de brousse, pour y distraire quelques bambins hilares, et leur couper les ongles (pas hilares du tout).
Et voilà : à peu de choses près la semaine s’achève. Avant de m'arrêter là, j'aimerais reprendre Soleils couchants, un poème tombé entre mes mains un peu par hasard ; Verlaine y parle d'un paysage qui ressemble étrangement à celui que je traverse tous les soirs, au guidon de ma bécane:
"Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce des doux chants
Mon coeur qui s’oublie
Aux soleils couchants,
Et d’étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils,
À des grands soleils
Couchants sur les grèves."
Et bien sûr, la pensée de la semaine : "C’est joli, la poussière, c’est la poudre de riz des choses" (Natalie Clifford Barney). A la semaine prochaine ! »
« Bonjour à tous,
Dix-sept semaines. Cent dix-neuf jours. En comptant mon premier week-end, jusque là oublié, on arrive à cent vingt-et-un jours, soit un tiers d’année. Un tiers d’année passé entre le 10°30 et le 12° de latitude Nord, quelque part, aux alentours du 105° Est. Si loin. Si différent. Si enrichissant aussi. Me croira-t-on si je dis que je me suis enrichi ? Et pourtant, il faut me croire : la khméritude est une expérience enrichissante. Dix-sept semaines passées quelque part sur la Terre, sur notre belle planète. Quatre mois au bord du Mékong, le fleuve nourricier de l’Asie. Cent vingt-et-un jours au Cambodge, un pays qui se réveille peu à peu de son Histoire meurtrie par les caprices des Hommes.
Et voilà que ce soir, je me prends une fois encore au jeu des doigts qui courent. Nous sommes mercredi soir, et il règne un calme plat à Kompong Cham, presque inhabituel. Les touches s’enfoncent une à une, perçant la nuit de leur bruit sec et court. C’est le bruit de mon aventure qui galope. Au loin, elle se rapproche. Au loin, elle prend forme. Les mots s’y accrochent peu à peu, et plus elle avance, plus je me la rappelle. À l’instar de beaucoup d’autres, cette dix-septième semaine fut en somme plutôt calme. En grande partie, je l’ai passée entre mon bureau partagé de Kompong Cham et l’église de Phum Thmey, où je continue de faire le prof d’Anglais tous les jours à 4 heures.
J’aime ce cours d’Anglais. J’aime la piste qui m’y mène et ses paysages quasi-spirituels. J’aime ces moutards de villages avachis par terre à essayer d’écrire, de répéter, et de comprendre. J’aime ce cours d’Anglais : c’est ma cure de jouvence quotidienne.
Pendant ce temps, tel un Mékong se vidant de ses eaux estivales, le temps continue de couler à vive allure, emportant dans ses eaux déchaînées les heures dont j’aurais parfois tant besoin. Aussi, sans même s’arrêter un instant, ce temps qui passe me conduit à samedi, journée qu’il me faut vous raconter un peu plus en détails. Première chose : aller au marché, acheter de quoi dîner ; ce soir, je suis de cuisine: "kniom tfeu mohob baraing". Légumes, fruits, viandes, lait, oeufs, et j’en passe. D’emblée, je mets la main à la pâte à crêpes, qu’il convient parait-il de faire reposer. Ensuite, le Père François (le nouveau) et moi avions prévu de courte date d’emmener les gamins de Phum Thmey à Chup, la plantation d’hévéas dont je vous ai presque maintes fois déjà parlé. Croirez-vous que je fais tout le temps la même chose ? Chup, chup et rechup ? S’il est vrai que Chup a effectivement des airs de ter repetita, j’y reviens, les plantations d’hévéas sont comme le pain à table : on ne s’en lasse pas. Ces forêts dessinées par les hommes ont beau être rectilignes à perte de vue, elles n’en demeurent pas moins envoûtantes et sublimes. Pour ce qui est de la sortie, rendez-vous fixé à 11 h devant l’église, après avoir embarqué la novice de Kompong Cham, et Lokta, le gardien de l’évêché qui a travaillé longtemps à Chup, ravi de jouer le guide le temps d’une journée.
Avec seize enfants d’attaque, nous voilà vingt dans le van du diocèse, direction l’usine de caoutchouc, à une trentaine de kilomètres au-delà du Mékong; en chemin, nous nous arrêtons déjeuner dans un bouiboui de bord de route (voir ci-dessous).
La grande tablée.
Lokta, notre guide, en plein exercice.
Peu habitués aux sorties culturelles, les gamins semblent avoir apprécié la visite. En fin de chaîne de production, nous avons fait la connaissance de Monsieur Yeung, le directeur, qui parle un Français excellent. C’est ainsi que j’ai pu en apprendre un peu plus sur Chup, qui n’a décidément pas fini de me dévoiler ses secrets. Contrairement à ce qu’un premier informateur m’avait dit (et dont je m’étais fait le rapporteur dans je ne sais quelle chronique précédente), Chup totalise non pas 6000 hectares, mais 22735, dont environ 40% sont en permanence exploités. Elle n’en demeure pas moins la plus grande plantation du Royaume. Aujourd’hui propriété de l’Etat, elle a été fondée en 1922 par les Français. Si tout ou partie des machines a été changée depuis, la moitié de l’usine et de ses installations date de cette époque.
Après la visite, nous voilà repartis, direction les abîmes forestiers, où nous nous immergeons un peu avant de repartir. Cette fois-ci, je prends le volant, et, après quelques hésitations, passe bientôt la cinquième.
En voiture Simone !
Joies simples ou non, je redécouvre avec plaisir les sensations presque oubliées de la conduite. Je roule à la cambodgienne, doublant sur coups de klaxon et de voitures en face. Avec ses enfants qui traversent, ses chiens avachis, ses vaches qui surgissent, ses poules affolées, ses nuages de poussières et ses cabosses tape-cul, la piste de Phum Thmey a des airs de piste noire. Je plane au bout du monde, au volant d’un vaisseau qui crache une fumée de poussière. Retour finalement sans encombre, avant de me mettre aux fourneaux. Ah les joies de la popote ! Au menu : poêlée paysanne, crêpes, salades et bananes frites. Riz y es-tu ? M’entends-tu ? Que fais-tu ? "Je suis au placard". Ah ça non jamais ! Un Khmer mange du riz à tous les repas ! Et voilà Sokchear la cuisinière, à l’affût, qui fait cuire du riz, monopolisant un feu au passage. La guerre des fourneaux a éclaté. La voilà qui point son nez au milieu des épluchures et des crêpes en couveuse. Il n'empêche: vu la plâtrée en composition, le riz sera ajourné (ou alors mangé en cachette dans un coin). Au dodo tout le monde, la digestion ne sera pas facile.
Dimanche matin, après la messe de 7 h (trop tôt j’en conviens), direction un village de brousse, pour y distraire quelques bambins hilares, et leur couper les ongles (pas hilares du tout).
Et voilà : à peu de choses près la semaine s’achève. Avant de m'arrêter là, j'aimerais reprendre Soleils couchants, un poème tombé entre mes mains un peu par hasard ; Verlaine y parle d'un paysage qui ressemble étrangement à celui que je traverse tous les soirs, au guidon de ma bécane:
"Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce des doux chants
Mon coeur qui s’oublie
Aux soleils couchants,
Et d’étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils,
À des grands soleils
Couchants sur les grèves."
Et bien sûr, la pensée de la semaine : "C’est joli, la poussière, c’est la poudre de riz des choses" (Natalie Clifford Barney). A la semaine prochaine ! »
Thursday, December 6, 2007
Semaine 16 : le charnier et la fleur.
« Bonsoir à tous.
Je dis "bonsoir" car précisément, ici, nous sommes mercredi soir, et je réponds une fois encore à l’appel de mon clavier. Que de bruit ce soir ! Il y a un mariage ou je ne sais quoi à côté, et ça hurle. Visiblement, les gens qui reçoivent ont de l’argent car jamais de mémoire d’homme il n’y avait eu autant de bruit dans la rue. Jamais aussi il n’y avait eu autant de voitures garées. Et quelles voitures ! Des Chevrolet, des grosses cylindrées, des coupées, des pick-up dernier cri. Peut-être est-ce la suite du mariage de la nièce du gouverneur de la province qui a eu lieu le mois dernier dans les mêmes conditions et au même endroit. Et comme le gouverneur se trouve être le frère de Hun Sen, Premier ministre depuis 1985 (ce qui, vous vous en doutez, lui a laissé le temps d’enrichir son clan), ça tombe plutôt bien pour sa nièce; on comprend dès lors pourquoi la police et l’armée ont été appelées à la rescousse. Ainsi, il y a peu, ce mariage donnait à la rue de l’évêché des airs de Boulevard Malesherbes au passage de Poutine. Bref.
Malgré les basses qui me cassent les oreilles, je vais tâcher de vous raconter ma semaine dernière, la seizième de ma vie cambodgienne. Lundi, mardi, mercredi, jeudi : rien de spécial. Comme d’habitude, je n’ai pas pris le temps de voir passer le temps. A noter, simplement, le passage de deux frères de la communauté de Taizé, à l’occasion d’une grande prière à la mode de Bourgogne organisée à Koh Roka mercredi, et poursuivie à Phnom Penh jeudi. Je suis surpris de l’aura qu’a Taizé ici-bas : certains s’étonnent même que je ne connaisse pas...
Vendredi, Dimitri est arrivé pour prendre le petit-déjeuner, après avoir passé une partie de la nuit à l’hôpital de Kompong Cham où il avait accompagné en catastrophe une soeur de Prey Veng (le bled où il est basé) prise de maux de ventre inquiétants vers trois heures du matin (pas de panique : il s’agissait d’une simple colique, fût-elle néphrétique !). Beurre Président et pain frais de la table de Monseigneur avalés, et nous voilà partis pour Phnom Penh en bus. Arrivés là-bas, nous passons grignoter au Sorya, le centre commercial façon occidentale dont je vous ai déjà parlé et où l’on peut manger autre chose que du riz. Ensuite, installation pour deux jours à la maison des coopérants où nous retrouvons une bonne partie de nos compères MEP.
17 heures : partage d’Evangile mensuel, suivi de la messe. L’exercice du partage d’Evangile, grande nouveauté pour moi, est l’occasion d’aller un peu en profondeur dans cette petite flamme qui nous anime ou nous interroge tous plus ou moins, et que l’on appelle la foi. Après la messe : pizzas party, avant que Dimitri et moi décidions d’aller nous rendre compte sur le terrain d’une autre réalité cambodgienne : la prostitution.
Je sens d’ici le petit effet que cette aventure d’un soir vous cause. Je vous sens saisi par la stupeur et la consternation (à moins, bien sûr, qu’il ne vous en faille plus !). Mais rassurez-vous : l’adresse est dans le Guide du Routard (pardon si ça ne vous dit rien qui vaille). Il s’agit d’un bar à ciel ouvert, à deux pas de Mao Tsé Tong boulevard, qui se la joue simili-chic, et répond au doux nom de Martini club. Là, sur fond d’ambiance à peine calfeutrée et de film grand public projeté en 4x3 sur un mur, c’est assez pathétique : une tripotée de Blancs vient acheter de pauvres filles qui n’ont à vendre que leur corps. Mon Dieu que le monde est triste quand il s’y met ! Rassurez-vous toujours : les charmes aguicheurs des maîtresses de maisons n’auront pas eu raison de notre conscience avant que nous ne quittions les lieux, direction le Memphis, un club-bar d’expats autrement plus bon enfant situé à deux pas du Palais royal. Au programme : années 80 à la sono, et quelques binouzes à la main. Voilà de quoi bien dormir.
Samedi matin, le fidèle Dimitri et moi partons à moto, direction Choeng Ek, mémorial du génocide Khmer Rouge, situé à douze kilomètres au sud de Phnom Penh. C’est là que bon nombre de prisonniers ont été massacrés entre 1975 et 1979. Ou plutôt : c’est là qu’une bande de barbares écervelés s’est adonnée au pire pendant les quatre années qu’elle a eu le pouvoir. Je vous passe les détails, mais l’image de ces fosses à peine vidées des centaines de cadavres qu’elles contenaient ou de cet arbre contre lequel les bourreaux s’amusaient à éclater la tête des enfants tenus par les pieds donnent une réelle consistance à un crime jusque là lu sur le papier.
Représentation de la scène de l’arbre
En méditation devant l’arbre (qui a bien changé je vous l’accorde !).
Scène de torture à Choeng Ek.
A l’époque, les installations de ce camp de la mort étaient à peu près réduites à rien : les prisonniers n’y passaient pas plus d’une nuit vivants, et ne nécessitaient donc aucun aménagement particulier... Autant vous dire qu’aujourd’hui il ne reste pour ainsi dire rien du peu qu’il y avait. Seuls quelques maigres panneaux donnent une idée de ce que furent les derniers instants de ces milliers de martyrs. Je me permets d’ailleurs de vous en raconter un, un peu à part sous une sorte de kiosque, et qui montre combien l’historiographie cambodgienne, pour l’heure en plein chantier, a encore besoin de temps et de travail sur soi. Il s’agit d’un texte assez long, présentant avec des mots bien à lui le génocide. Aussi y apprend-on que, je cite, le crime des Khmers Rouges fut "plus cruel que celui orchestré en Europe par les Fascistes de Hitler" (sic). Plus bas, l’auteur semble s’étonner que ces bourreaux aient pu avoir un visage humain, et qui plus est khmer : "ils avaient des visages de Khmers, mais c’étaient des monstres". Enfin, dans un élan nationaliste à peine camouflé, et relevant à juste titre le fait que ce génocide est d’autant plus absurde qu’il a été celui des Khmers par les Khmers eux-mêmes, le texte expire sur une phrase du genre : "ils ont même voulu détruire Angkor qui est la plus belle vitrine de la belle, grande et puissante nation khmère". No comment.
Un panneau à Choeng Ek.
Au milieu du mémorial a été construit un stupa où est entreposée une partie des crânes retrouvés dans les fosses alentour : cet amoncellement de plus de huit mille crânes est plutôt macabre.
Le stupa de Choeng Ek
- contenant :
- contenu :
Pourtant, si Choeng Ek est naturellement un site horrible en soi, où le tragique a eu sa part belle, j’y ai curieusement senti un certain apaisement d’esprit. Il est vrai que le site est agréable : deux hectares de campagne où la nature a repris ses droits, sorte d’hymne à la vie. Autant je n’avais pas tellement aimé Tuol Sleng (dit aussi S-21), l’ancienne école au centre de Phnom Penh, reconvertie une première fois en prison par les Khmers Rouges, et une seconde fois en musée par les Vietnamiens, autant j’ai aimé Choeng Ek. Pour le premier, où les pires barbaries ont également été commises et aujourd’hui dans un état de délabrement tel qu'une interdiction d’accès se justifierait presque, point de vie : le glauque y a remplacé la mort, nous enfermant au passage dans l’asthénie qui semble décidément propre à la nature humaine. Pour le second, visité par une belle journée ensoleillée, la végétation luxuriante, au moins, laisse une place à l’espérance. J’y ai vu la fleur qui pousse au milieu du charnier.
Tuol Sleng : règlement intérieur.
Une salle à Tuol Sleng au temps des Khmers Rouges.
Un lit à Tuol Sleng.
- Avant :
- Après :
Les âmes innocentes (photos affichées à Tuol Sleng)
Martyre n°19
Martyr n°50
Martyre n°73
Martyr n°78
Martyre n°85
Martyr n°152
Martyr n°374
Martyr n°399
Martyre n°408
Martyr n°438
Retour pour le déjeuner à la maison des coopérants où Philibert et Antoine s’activent aux fourneaux. Et nous de mettre la main à la pâte puis les pieds sous la table. Après le déjeuner, détour à l’Internet café d’à-côté du Palais royal, en front de Tonlé Sap, et d’où je vous ai envoyé ma dernière chronique. Le soir, petit tour au Burger King local, avant un film bien beauf à la maison. Une petite causerie, et au dodo : la messe est à 9h demain matin. Messe dans la toute nouvelle église paroissiale, encore en travaux d’ailleurs, et qui sera consacrée le 6 janvier par le Cardinal Martino, Président du Conseil pontifical Justice et Paix. Après le passage à la tondeuse de ma tignasse et un déjeuner bien sympathique chez Rémi et Marie, deux coopérants mariés de l’été dernier et arrivés récemment, il est temps de repartir dans nos provinces respectives et ainsi d’achever un week-end phnom penhois une fois de plus excellent.
Je pourrais m’arrêter là, et passer à la traditionnelle pensée de la semaine qui clôt généralement ma chronique. Mais je voudrais d’abord vous rapporter quelques mots de Norodom Sihanouk, père de l’actuel roi du Cambodge, qui fut lui-même roi à plusieurs reprises entre 1941 et 2004. Ces mots, ô combien éloquents !, remontent à août 2002 et sont adressés (je cite) "à mes bien-aimés compatriotes" ; je les ai trouvés dans une sélection d’articles du journal francophone "Cambodge soir" qui m’est tombée sous la main par hasard. Ainsi Sa Majesté dresse-t-elle un portrait peu flatteur de son royaume : "Dans les années 1990-2000, nous devenons une nation de mendiants et ne survivons, d’ailleurs très mal, que grâce au riz et d’autres aides de l’étranger et des gros capitalistes. Nous avons d’innombrables mendiants (y compris des agriculteurs) et une bonne partie du 'petit-peuple' fait face à la famine. [...] On connaît les conséquences ultradésastreuses pour notre pays, notre agriculture, nos paysans et nos paysannes, notre 'petit-peuple', nos lacs, nos étangs, nos cours d’eau, nos ressources piscicoles, d’une déforestation continue, extensive, sans frein et sans remède véritable. Je ne me permettrai pas de m’étendre là-dessus. Je dois mentionner seulement le fait qu’une telle déforestation est l’une des causes majeures des cas de sécheresses et d’inondations catastrophiques, ruinant littéralement le pays, notre agriculture, nos paysans et nos paysannes. » A bon entendeur ?
LL.MM. Norodom, père et fils.
Et pour conclure : la pensée de la semaine ; "Le chagrin est comme le riz dans le grenier : chaque jour il diminue un peu." (proverbe malgache). A la semaine prochaine ! »
Je dis "bonsoir" car précisément, ici, nous sommes mercredi soir, et je réponds une fois encore à l’appel de mon clavier. Que de bruit ce soir ! Il y a un mariage ou je ne sais quoi à côté, et ça hurle. Visiblement, les gens qui reçoivent ont de l’argent car jamais de mémoire d’homme il n’y avait eu autant de bruit dans la rue. Jamais aussi il n’y avait eu autant de voitures garées. Et quelles voitures ! Des Chevrolet, des grosses cylindrées, des coupées, des pick-up dernier cri. Peut-être est-ce la suite du mariage de la nièce du gouverneur de la province qui a eu lieu le mois dernier dans les mêmes conditions et au même endroit. Et comme le gouverneur se trouve être le frère de Hun Sen, Premier ministre depuis 1985 (ce qui, vous vous en doutez, lui a laissé le temps d’enrichir son clan), ça tombe plutôt bien pour sa nièce; on comprend dès lors pourquoi la police et l’armée ont été appelées à la rescousse. Ainsi, il y a peu, ce mariage donnait à la rue de l’évêché des airs de Boulevard Malesherbes au passage de Poutine. Bref.
Malgré les basses qui me cassent les oreilles, je vais tâcher de vous raconter ma semaine dernière, la seizième de ma vie cambodgienne. Lundi, mardi, mercredi, jeudi : rien de spécial. Comme d’habitude, je n’ai pas pris le temps de voir passer le temps. A noter, simplement, le passage de deux frères de la communauté de Taizé, à l’occasion d’une grande prière à la mode de Bourgogne organisée à Koh Roka mercredi, et poursuivie à Phnom Penh jeudi. Je suis surpris de l’aura qu’a Taizé ici-bas : certains s’étonnent même que je ne connaisse pas...
Vendredi, Dimitri est arrivé pour prendre le petit-déjeuner, après avoir passé une partie de la nuit à l’hôpital de Kompong Cham où il avait accompagné en catastrophe une soeur de Prey Veng (le bled où il est basé) prise de maux de ventre inquiétants vers trois heures du matin (pas de panique : il s’agissait d’une simple colique, fût-elle néphrétique !). Beurre Président et pain frais de la table de Monseigneur avalés, et nous voilà partis pour Phnom Penh en bus. Arrivés là-bas, nous passons grignoter au Sorya, le centre commercial façon occidentale dont je vous ai déjà parlé et où l’on peut manger autre chose que du riz. Ensuite, installation pour deux jours à la maison des coopérants où nous retrouvons une bonne partie de nos compères MEP.
17 heures : partage d’Evangile mensuel, suivi de la messe. L’exercice du partage d’Evangile, grande nouveauté pour moi, est l’occasion d’aller un peu en profondeur dans cette petite flamme qui nous anime ou nous interroge tous plus ou moins, et que l’on appelle la foi. Après la messe : pizzas party, avant que Dimitri et moi décidions d’aller nous rendre compte sur le terrain d’une autre réalité cambodgienne : la prostitution.
Je sens d’ici le petit effet que cette aventure d’un soir vous cause. Je vous sens saisi par la stupeur et la consternation (à moins, bien sûr, qu’il ne vous en faille plus !). Mais rassurez-vous : l’adresse est dans le Guide du Routard (pardon si ça ne vous dit rien qui vaille). Il s’agit d’un bar à ciel ouvert, à deux pas de Mao Tsé Tong boulevard, qui se la joue simili-chic, et répond au doux nom de Martini club. Là, sur fond d’ambiance à peine calfeutrée et de film grand public projeté en 4x3 sur un mur, c’est assez pathétique : une tripotée de Blancs vient acheter de pauvres filles qui n’ont à vendre que leur corps. Mon Dieu que le monde est triste quand il s’y met ! Rassurez-vous toujours : les charmes aguicheurs des maîtresses de maisons n’auront pas eu raison de notre conscience avant que nous ne quittions les lieux, direction le Memphis, un club-bar d’expats autrement plus bon enfant situé à deux pas du Palais royal. Au programme : années 80 à la sono, et quelques binouzes à la main. Voilà de quoi bien dormir.
Samedi matin, le fidèle Dimitri et moi partons à moto, direction Choeng Ek, mémorial du génocide Khmer Rouge, situé à douze kilomètres au sud de Phnom Penh. C’est là que bon nombre de prisonniers ont été massacrés entre 1975 et 1979. Ou plutôt : c’est là qu’une bande de barbares écervelés s’est adonnée au pire pendant les quatre années qu’elle a eu le pouvoir. Je vous passe les détails, mais l’image de ces fosses à peine vidées des centaines de cadavres qu’elles contenaient ou de cet arbre contre lequel les bourreaux s’amusaient à éclater la tête des enfants tenus par les pieds donnent une réelle consistance à un crime jusque là lu sur le papier.
Représentation de la scène de l’arbre
En méditation devant l’arbre (qui a bien changé je vous l’accorde !).
Scène de torture à Choeng Ek.
A l’époque, les installations de ce camp de la mort étaient à peu près réduites à rien : les prisonniers n’y passaient pas plus d’une nuit vivants, et ne nécessitaient donc aucun aménagement particulier... Autant vous dire qu’aujourd’hui il ne reste pour ainsi dire rien du peu qu’il y avait. Seuls quelques maigres panneaux donnent une idée de ce que furent les derniers instants de ces milliers de martyrs. Je me permets d’ailleurs de vous en raconter un, un peu à part sous une sorte de kiosque, et qui montre combien l’historiographie cambodgienne, pour l’heure en plein chantier, a encore besoin de temps et de travail sur soi. Il s’agit d’un texte assez long, présentant avec des mots bien à lui le génocide. Aussi y apprend-on que, je cite, le crime des Khmers Rouges fut "plus cruel que celui orchestré en Europe par les Fascistes de Hitler" (sic). Plus bas, l’auteur semble s’étonner que ces bourreaux aient pu avoir un visage humain, et qui plus est khmer : "ils avaient des visages de Khmers, mais c’étaient des monstres". Enfin, dans un élan nationaliste à peine camouflé, et relevant à juste titre le fait que ce génocide est d’autant plus absurde qu’il a été celui des Khmers par les Khmers eux-mêmes, le texte expire sur une phrase du genre : "ils ont même voulu détruire Angkor qui est la plus belle vitrine de la belle, grande et puissante nation khmère". No comment.
Un panneau à Choeng Ek.
Au milieu du mémorial a été construit un stupa où est entreposée une partie des crânes retrouvés dans les fosses alentour : cet amoncellement de plus de huit mille crânes est plutôt macabre.
Le stupa de Choeng Ek
- contenant :
- contenu :
Pourtant, si Choeng Ek est naturellement un site horrible en soi, où le tragique a eu sa part belle, j’y ai curieusement senti un certain apaisement d’esprit. Il est vrai que le site est agréable : deux hectares de campagne où la nature a repris ses droits, sorte d’hymne à la vie. Autant je n’avais pas tellement aimé Tuol Sleng (dit aussi S-21), l’ancienne école au centre de Phnom Penh, reconvertie une première fois en prison par les Khmers Rouges, et une seconde fois en musée par les Vietnamiens, autant j’ai aimé Choeng Ek. Pour le premier, où les pires barbaries ont également été commises et aujourd’hui dans un état de délabrement tel qu'une interdiction d’accès se justifierait presque, point de vie : le glauque y a remplacé la mort, nous enfermant au passage dans l’asthénie qui semble décidément propre à la nature humaine. Pour le second, visité par une belle journée ensoleillée, la végétation luxuriante, au moins, laisse une place à l’espérance. J’y ai vu la fleur qui pousse au milieu du charnier.
Tuol Sleng : règlement intérieur.
Une salle à Tuol Sleng au temps des Khmers Rouges.
Un lit à Tuol Sleng.
- Avant :
- Après :
Les âmes innocentes (photos affichées à Tuol Sleng)
Martyre n°19
Martyr n°50
Martyre n°73
Martyr n°78
Martyre n°85
Martyr n°152
Martyr n°374
Martyr n°399
Martyre n°408
Martyr n°438
Retour pour le déjeuner à la maison des coopérants où Philibert et Antoine s’activent aux fourneaux. Et nous de mettre la main à la pâte puis les pieds sous la table. Après le déjeuner, détour à l’Internet café d’à-côté du Palais royal, en front de Tonlé Sap, et d’où je vous ai envoyé ma dernière chronique. Le soir, petit tour au Burger King local, avant un film bien beauf à la maison. Une petite causerie, et au dodo : la messe est à 9h demain matin. Messe dans la toute nouvelle église paroissiale, encore en travaux d’ailleurs, et qui sera consacrée le 6 janvier par le Cardinal Martino, Président du Conseil pontifical Justice et Paix. Après le passage à la tondeuse de ma tignasse et un déjeuner bien sympathique chez Rémi et Marie, deux coopérants mariés de l’été dernier et arrivés récemment, il est temps de repartir dans nos provinces respectives et ainsi d’achever un week-end phnom penhois une fois de plus excellent.
Je pourrais m’arrêter là, et passer à la traditionnelle pensée de la semaine qui clôt généralement ma chronique. Mais je voudrais d’abord vous rapporter quelques mots de Norodom Sihanouk, père de l’actuel roi du Cambodge, qui fut lui-même roi à plusieurs reprises entre 1941 et 2004. Ces mots, ô combien éloquents !, remontent à août 2002 et sont adressés (je cite) "à mes bien-aimés compatriotes" ; je les ai trouvés dans une sélection d’articles du journal francophone "Cambodge soir" qui m’est tombée sous la main par hasard. Ainsi Sa Majesté dresse-t-elle un portrait peu flatteur de son royaume : "Dans les années 1990-2000, nous devenons une nation de mendiants et ne survivons, d’ailleurs très mal, que grâce au riz et d’autres aides de l’étranger et des gros capitalistes. Nous avons d’innombrables mendiants (y compris des agriculteurs) et une bonne partie du 'petit-peuple' fait face à la famine. [...] On connaît les conséquences ultradésastreuses pour notre pays, notre agriculture, nos paysans et nos paysannes, notre 'petit-peuple', nos lacs, nos étangs, nos cours d’eau, nos ressources piscicoles, d’une déforestation continue, extensive, sans frein et sans remède véritable. Je ne me permettrai pas de m’étendre là-dessus. Je dois mentionner seulement le fait qu’une telle déforestation est l’une des causes majeures des cas de sécheresses et d’inondations catastrophiques, ruinant littéralement le pays, notre agriculture, nos paysans et nos paysannes. » A bon entendeur ?
LL.MM. Norodom, père et fils.
Et pour conclure : la pensée de la semaine ; "Le chagrin est comme le riz dans le grenier : chaque jour il diminue un peu." (proverbe malgache). A la semaine prochaine ! »
Saturday, December 1, 2007
Semaine 15 : rizem et circenses.
(blabla)
« Bonjour à tous,
Je vais tâcher de faire bref. Le temps presse. Que vous dire de cette quinzième semaine, déjà loin derrière ? Non pas qu’il n’y ait rien à en dire, bien au contraire, mais plutôt que je ne sais par quel bout commencer. En fait voilà. C’est décidé, pour éviter les longueurs, je commence par vendredi. Vendredi, justement, Philibert et Antoine, coopérants MEP respectivement en poste à Phnom Penh et Kampot, ont la bonne idée de venir me voir. Et pour cause : certes, ça vaut l'coup, mais c’est aussi Bon Om Tuk (nous y reviendrons plus bas), jour chômé ici-bas. La veille, Francois, un prêtre MEP du diocèse de Lille, ordonné en 2005, et tout juste arrivé au Cambodge, est venu s’installer à Kompong Cham pour un an et demi. Du coup, nous voilà partis tous les quatre, à deux motos, direction Han Chey, la montagne-sanctuaire dont je vous ai déjà parlé plusieurs fois, à une bonne vingtaine de kilomètres de piste d’ici, et d'où sort de terre un bouddha de 56 mètres de haut. Saison sèche oblige, en chemin, la moindre voiture nous offre de rouler dans un nuage de poussière et de repeindre nos habits. Je n'vous raconte pas quand c'est un camion. Là-haut, nous avons profité du parc animalier en béton pour jouer aux touristes (voir ci-dessous).
Le Père François, Antoine et moi avons attrapé un dinosaure: merci à Philibert, qui, derrière son appareil, a eu le bon réflexe.
Pour samedi, Antoine nous avait mis en tête de trouver une chariote et son cheval pour une balade atypique le long du Mékong. Du coup, nous voilà partis à sa recherche. En chemin, nous grimpons la « tour cham », qui fait face à Kompong Cham, de l’autre coté du fleuve. Avec ses airs de minaret, construite dans les années 30, elle est un reste de l’administration française et ne sert à rien d’autre qu'à satisfaire le désir de perspective du gouverneur d’alors (elle est pile dans l'axe de la rue au bout de laquelle se trouve la maison du gouverneur). Soucieux de lui donner un genre cham (les chams sont les musulmans du Cambodge et Kompong Cham est leur port d'attache), feu Son Excellence la fit faire dans un pur style arabisant, ce qui est finalement assez curieux pour le coin (voir ci-dessous).
La tour cham
Après cette ascension et une vue magnifique sur la région, nous avons crapahuté aux alentours, et fini par trouver un autochtone partant pour nous promener dans sa chariote, moyennant finance. Hue dada. C’est parti. Vu l'attelage, nous ne sommes pas allés très loin ; deux ou trois kilomètres aller-retour tout au plus. Visiblement, nous étions drôles: les gens riaient sur notre passage. Si le pauvre cheval en a pris pour son grade, la balade était extra (voir ci-dessous).
A dada mon gros bidet.
Ensuite, nous sommes repassés à l’évêché pour prendre deux motos, direction Chup, dont je vous ai déjà parlé, et qui reste la plus grande plantation d’hévéas du Cambodge (6000 hectares). Là, nous avons pénétré cette forêt bicolore, mystérieuse source d’inspiration, et exploré quelques allées forestières aux airs de corridors. A travers les arbres, au loin, le soleil rougeoyant se couche: c'est beau !
A moto avec Antoine
En pénétrant dans la plantation Chup
Dans la plantation Chup
Samedi soir, Dimitri nous a rejoints. Le temps d’enfiler un dîner, quelques bières locales dans un bar de l'autre coté du Mékong, et une courte nuit, nous voilà partis aux aurores dominicales pour Phnom Penh où Bon Om Tuk (la fête des eaux) bat son plein et fait se tripler le temps d'un week-end la population phnom penhoise. Là, Sihamoni, sa cour et son peuple fêtent l’inversion des eaux du Tonlé Sap, et assistent côte à côte à une course de pirogues peinturlurées. Chaque embarcation représente une province, un village, une profession, une ONG, et que sais-je encore. On imagine le plaisir de Sa Très Gracieuse Majesté, perchée sur sa loge de roi et pétant dans la soie, savourant de son auguste coeur le bonheur de voir ses sujets s’amuser dans une liesse asphyxiante. "Du riz et des jeux. Donnez-leur du riz et des jeux". Parallèlement, depuis le loft open space des expatriés dont je vous ai déjà parlé il y a quelque temps (lui est directeur de l'aéroport de Phnom Penh), nous avions sans aucun doute une des plus belles vues de toute la ville; j'ose le dire: c'était royal (voir la photo ci-dessous, prise de là-haut. Voir aussi ici).
Après le feu d’artifice, nous voilà repartis dîner sur l’autre rive du Tonlé Sap, chez une certaine Vantha, une khmère qui tient le magasin de l’Eglise catholique à Phnom Penh ("Up to you"). La traversée sur le seul pont de la ville a failli se terminer en stand by de deux heures. Mais nous avons eu plus de chance que Philibert qui nous suivait de dix minutes, et qui, forcé de rebrousser chemin, n’est jamais arrivé. Vantha et sa famille nous ont reçus comme des rois, et le dîner, arrosé de quelques binouzes était bien sympathique. Le plus drôle, c'est que Vantha nous a montré les photos de son périple dans le Bordelais, je ne sais chez quel expat', et que sur une des photos, j'ai reconnu une Bordelaise avec qui il m'est arrivé, plus jeune, de danser sur Bob Morane. Là encore, je ne sais pas si c'est le monde qui est petit, ou bien la France qui est grande... Notre soirée s'est soldée par un tour à la fête foraine, où manèges et autres beauferies ont fini de nous régaler. On a bien rigolé. Voilà un week-end bien chargé qui s’achève. Lundi : retour à Kompong Cham, pour entamer la seizième semaine la tête pleine d’images magnifiques. Si vous le voulez bien, nous attendrons encore quelques jours pour en parler. D’ici là, je vous laisse sur la pensée de la semaine : "Un homme qui se noie cherche à s’aggriper même à une paille de riz" (proverbe chinois). »
« Bonjour à tous,
Je vais tâcher de faire bref. Le temps presse. Que vous dire de cette quinzième semaine, déjà loin derrière ? Non pas qu’il n’y ait rien à en dire, bien au contraire, mais plutôt que je ne sais par quel bout commencer. En fait voilà. C’est décidé, pour éviter les longueurs, je commence par vendredi. Vendredi, justement, Philibert et Antoine, coopérants MEP respectivement en poste à Phnom Penh et Kampot, ont la bonne idée de venir me voir. Et pour cause : certes, ça vaut l'coup, mais c’est aussi Bon Om Tuk (nous y reviendrons plus bas), jour chômé ici-bas. La veille, Francois, un prêtre MEP du diocèse de Lille, ordonné en 2005, et tout juste arrivé au Cambodge, est venu s’installer à Kompong Cham pour un an et demi. Du coup, nous voilà partis tous les quatre, à deux motos, direction Han Chey, la montagne-sanctuaire dont je vous ai déjà parlé plusieurs fois, à une bonne vingtaine de kilomètres de piste d’ici, et d'où sort de terre un bouddha de 56 mètres de haut. Saison sèche oblige, en chemin, la moindre voiture nous offre de rouler dans un nuage de poussière et de repeindre nos habits. Je n'vous raconte pas quand c'est un camion. Là-haut, nous avons profité du parc animalier en béton pour jouer aux touristes (voir ci-dessous).
Le Père François, Antoine et moi avons attrapé un dinosaure: merci à Philibert, qui, derrière son appareil, a eu le bon réflexe.
Pour samedi, Antoine nous avait mis en tête de trouver une chariote et son cheval pour une balade atypique le long du Mékong. Du coup, nous voilà partis à sa recherche. En chemin, nous grimpons la « tour cham », qui fait face à Kompong Cham, de l’autre coté du fleuve. Avec ses airs de minaret, construite dans les années 30, elle est un reste de l’administration française et ne sert à rien d’autre qu'à satisfaire le désir de perspective du gouverneur d’alors (elle est pile dans l'axe de la rue au bout de laquelle se trouve la maison du gouverneur). Soucieux de lui donner un genre cham (les chams sont les musulmans du Cambodge et Kompong Cham est leur port d'attache), feu Son Excellence la fit faire dans un pur style arabisant, ce qui est finalement assez curieux pour le coin (voir ci-dessous).
La tour cham
Après cette ascension et une vue magnifique sur la région, nous avons crapahuté aux alentours, et fini par trouver un autochtone partant pour nous promener dans sa chariote, moyennant finance. Hue dada. C’est parti. Vu l'attelage, nous ne sommes pas allés très loin ; deux ou trois kilomètres aller-retour tout au plus. Visiblement, nous étions drôles: les gens riaient sur notre passage. Si le pauvre cheval en a pris pour son grade, la balade était extra (voir ci-dessous).
A dada mon gros bidet.
Ensuite, nous sommes repassés à l’évêché pour prendre deux motos, direction Chup, dont je vous ai déjà parlé, et qui reste la plus grande plantation d’hévéas du Cambodge (6000 hectares). Là, nous avons pénétré cette forêt bicolore, mystérieuse source d’inspiration, et exploré quelques allées forestières aux airs de corridors. A travers les arbres, au loin, le soleil rougeoyant se couche: c'est beau !
A moto avec Antoine
En pénétrant dans la plantation Chup
Dans la plantation Chup
Samedi soir, Dimitri nous a rejoints. Le temps d’enfiler un dîner, quelques bières locales dans un bar de l'autre coté du Mékong, et une courte nuit, nous voilà partis aux aurores dominicales pour Phnom Penh où Bon Om Tuk (la fête des eaux) bat son plein et fait se tripler le temps d'un week-end la population phnom penhoise. Là, Sihamoni, sa cour et son peuple fêtent l’inversion des eaux du Tonlé Sap, et assistent côte à côte à une course de pirogues peinturlurées. Chaque embarcation représente une province, un village, une profession, une ONG, et que sais-je encore. On imagine le plaisir de Sa Très Gracieuse Majesté, perchée sur sa loge de roi et pétant dans la soie, savourant de son auguste coeur le bonheur de voir ses sujets s’amuser dans une liesse asphyxiante. "Du riz et des jeux. Donnez-leur du riz et des jeux". Parallèlement, depuis le loft open space des expatriés dont je vous ai déjà parlé il y a quelque temps (lui est directeur de l'aéroport de Phnom Penh), nous avions sans aucun doute une des plus belles vues de toute la ville; j'ose le dire: c'était royal (voir la photo ci-dessous, prise de là-haut. Voir aussi ici).
Après le feu d’artifice, nous voilà repartis dîner sur l’autre rive du Tonlé Sap, chez une certaine Vantha, une khmère qui tient le magasin de l’Eglise catholique à Phnom Penh ("Up to you"). La traversée sur le seul pont de la ville a failli se terminer en stand by de deux heures. Mais nous avons eu plus de chance que Philibert qui nous suivait de dix minutes, et qui, forcé de rebrousser chemin, n’est jamais arrivé. Vantha et sa famille nous ont reçus comme des rois, et le dîner, arrosé de quelques binouzes était bien sympathique. Le plus drôle, c'est que Vantha nous a montré les photos de son périple dans le Bordelais, je ne sais chez quel expat', et que sur une des photos, j'ai reconnu une Bordelaise avec qui il m'est arrivé, plus jeune, de danser sur Bob Morane. Là encore, je ne sais pas si c'est le monde qui est petit, ou bien la France qui est grande... Notre soirée s'est soldée par un tour à la fête foraine, où manèges et autres beauferies ont fini de nous régaler. On a bien rigolé. Voilà un week-end bien chargé qui s’achève. Lundi : retour à Kompong Cham, pour entamer la seizième semaine la tête pleine d’images magnifiques. Si vous le voulez bien, nous attendrons encore quelques jours pour en parler. D’ici là, je vous laisse sur la pensée de la semaine : "Un homme qui se noie cherche à s’aggriper même à une paille de riz" (proverbe chinois). »
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