Quatre semaines. Presque un mois. Je ne sais pas chez vous, mais ici, le temps continue de passer. A moi de passer un peu de temps pour vous raconter. Et de m’étaler un peu. Hormis le nez dans la compta et les oreilles dans le Khmer, je dois bien dire que deux choses sont à retenir : 1) d’une part, j’ai eu la chance d’être invité vendredi au mariage de la soeur d’une des cuisinières de l’évêché. Mariage bouddhiste dans la plus pure tradition khmère : les mariés accueillent les invités, et les tables sont dressées sous une sorte de tente bariolée dressée devant la maison de la mariée (voir ici). Chaque convive est prié d’apporter une participation financière ; s’en acquitter serait perçu comme insultant. Par ailleurs, je ne sais pas si c’est la tradition qui le veut, mais avant toute chose, tous mes voisins se sont mis à passer au chiffon leurs verre, bol, et couverts. Excès d’hygiène ? Le déjeuner, fort bon, est accompagné de bière locale, qui coule à flots. Pendant ce temps, les mariés, dans un ballet incessant, entrent dans la maison, en ressortent, recommencent, avec à chaque fois une tenue différente, sensée commémorer les couples célèbres : Rama et Sita, Jali et Krishna (enfant du Prince Vessantara, l’une des incarnations du Bouddha), et surtout Preah Thong (alias Kaundinya) et Soma, la fille du Naga. Vers 1 heure, il n’y a déjà plus grand monde. Nous sommes sortis de table les derniers, et avons eu droit à un peu de musique crachée par un mur d’enceintes de quatre mètres carrés. Quelques danses traditionnelles sur fond de techno, et ça repart. 2) changement de programme pour ce week-end. Phnom-Penh attendra encore une semaine, mais j’ai préféré rester dans les parages pour retourner aujourd’hui (dimanche) à Koh Roka, le village sur le Mékong dont je vous parlais la semaine dernière. Et pour cause : PrimPrey, la comptable khmère y organisait un « déjeuner sur l’herbe » (n’y voyez pas ça), avec quelques uns de ses amis et/ou jeunes villageois. Après la messe dominicale de 7 h 30 dans la nouvelle église du village, nous avons pris place sur le terrain paroissial, et je me suis laissé cuisiner un repas aux plats variés, mais tous cambodgiens (ce qui n’est pas toujours bon signe). La cuisine locale, pour un Français qui, comme moi aime le fromage, le vin et la viande rouge(s), fait souvent figure d’exotisme aventureux, et le sel en est trop souvent absent. Mais la surprise est parfois excellente, fort heureusement ; qui plus est, le riz, même nature, est nourrissant. Après notre pique-nique champêtre, sous la pluie, certains d’entre nous sont allés piquer une tête dans la rivière, qui n’est en fait pas le Mékong, mais un de ses affluents. Au temps pour moi. Après un rapide cours de danse collectif sur fond de techno 2x600W, nous nous sommes rentrés. La piste, gorgée d’eau et crevassée, m’a offert un voyage pour le moins secoué. Bref. Voilà pour ma semaine.
Je profite de ces nouvelles pour vous faire un rapide topo sur la religion au Cambodge. Pour tout vous dire, ce qui m’y fait penser, c’est que ce matin, nous avons rendu visite à une certaine Sokhim. Son nom ne vous dit sans doute rien, mais j’aurais pu déjà vous en parler la semaine dernière. Et pour cause : lors de ma première visite à Koh Roka (voir Semaine 3), Jean-Philippe m’avait emmené visiter cette chrétienne khmer d’environ trente ans, pleine de vie et de projets jusqu’à ce qu'un cancer du bassin la rende handicapée des jambes. C'était l'année dernière. Son témoignage est poignant : elle nous racontait que récemment, à l'hôpital où elle était entrée après avoir ingurgité (apparemment volontairement) un dose trop forte de médicaments, des infirmiers s'étaient moqué d'elle et de son dieu "venu la sauver". Cette attaque l'a semble-t-il bouleversée, et elle en pleurait devant nous, un crucifix au pied de sa paillasse. Peut-être plus qu'ailleurs, au Cambodge, où le bouddhisme est quasi indissociable de la nationalité, se convertir au Christianisme ou s'afficher comme chrétien est acte de foi puissant: pour beaucoup, les convertis sont des traîtres. Et pour cause : ici (comme ailleurs peut-être), être khmer, c’est être bouddhiste, et l’ensemble définit la race et la nationalité (notons néanmoins qu’en août 1996, l’assemblée nationale a succombé aux charmes de l’argent, autorisant -en théorie seulement- toute personne investissant dans le pays la somme minimale de 400 000 dollars à obtenir la nationalité cambodgienne). Cette race khmère, c’est celle des temples d’Angkor. Mais c’est aussi celle qui souffre, depuis le XIXe siècle, du « complexe » du même nom : pour la plupart des Cambodgiens, après Angkor, leur civilisation serait entrée dans une phase de régression à peu près définitive. Ainsi, en leur temps, les Khmers Rouges, comme pour donner tort aux déclinologues, eurent le projet de recouvrer la grandeur de leur race, porte ouverte à l’épuration massive de leur propre peuple et à un projet économique délirant : ramener tout le monde à la rizière pour enrichir le pays. Résultat : entre 2 et 4 millions de morts entre 1975 et 1979 + un pays ruiné en 1979. Bref. Je reviendrai plus tard sur cette période, et reprends sur la religion. Vous l’aurez compris, les religions autres que le Bouddhisme (Bouddhisme dit « du Petit Véhicule » pour ce qui est de la région) n’ont pas facilement leur place au Cambodge, même si une communauté musulmane (les Chams) est présente sur les bords du Mékong cambodgien depuis le XVe siècle (Kompong Cham, la ville où je réside, signifie « embarcadère des Chams »). Actuellement, la plus grande diversité religieuse est à compter dans la communauté vietnamienne, largement représentée, mais difficilement quantifiable ; le peu d’estime que les Khmers ont pour leurs voisins de l’Est - et vice versa - (aux cruautés vietnamiennes à l’endroit des Khmers à travers l’Histoire, à l’annexion pure et simple des territoires du delta du Mékong par le Vietnam à l’époque moderne, aux différentes tentatives de vietnamisation du Cambodge, il faut ajouter la maladresse des Français à avoir fait, durant leur présence dans la région, de la péninsule sud asiatique une Indochine principalement administrée par des Vietnamiens), l’endogamie mêlée d’exogamie, la difficulté de peser le pour et le contre de la présence vietnamienne au Cambodge (le 7 janvier 1979, l’armée vietnamienne entrait dans Phnom Penh, mettant fin au pol potisme, mais ouvrant la voie à dix ans d’occupation communiste, de guerre, et d’isolation politique du pays), l’hésitation entre inculturation et communautarisme : autant d’éléments qui brouillent les pistes de la clarification. On peut toutefois estimer à deux ou trois cent mille le nombre de Vietnamiens vivant actuellement au Cambodge. Bouddhistes d’obédience mahayana (ou du « Grand Véhicule »), catholiques (pour un quart d’entre eux) ou caodaïstes [1], sur le plan religieux, tout les sépare de leurs hôtes. Pour ce qui est du christianisme, on ne compte plus le nombre d’églises protestantes aux noms variés qui, partout, fleurissent. Quant à l’Eglise catholique du Cambodge, si je lui consacrerai plus tard un topo contemporain, pour commencer, je peux vous dire qu’elle a fêté l’année dernière ses 450 ans, et que la période Khmers Rouges lui aura valu, sinon une extermination, du moins une extinction quasi totale. Voilà pour l’heure ce que je pouvais dire sur la religion au Cambodge. Je sais que j’en oublie. Mais si le temps s’y prête, j’y reviendrai.
La pensée de la semaine : je riz.
[1] Apparu au Vietnam en 1926, le caodaïsme est un culte syncrétique vénèrant, entre autres, Bouddha, Mahomet, Jésus, Jeanne d'Arc, Pasteur, Churchill, Pasteur, Victor Hugo, et... Lénine.
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