Friday, March 14, 2008

Semaines 29 & 30 : vive la r’traite.

-----------------------AVIS DE RECHERCHE-----------------------

LES MEP SONT À LA RECHERCHE DE VOLONTAIRES POUR L’ANNÉE À VENIR. SI VOUS CONNAISSEZ DES JEUNES (VOUS-MÊME ?) EN QUÊTE D’AUTRES CIEUX ET MOTIVÉS POUR METTRE LEURS COMPÉTENCES AU SERVICE DES AUTRES POUR UNE DURÉE DE QUELQUES MOIS À DEUX ANS, N’HÉSITEZ PAS À LEUR FAIRE PASSER LE MESSAGE (JE VOUS ASSURE : C'EST SUPER). POUR PLUS DE PRÉCISIONS, CLIQUER ICI.

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Bonjour à tous,

Un peu plus, et je laissais passer le temps. Je suis ici jeudi soir, et me r’voilà. Que dire des deux dernières semaines ? Dans le détail, rien. J’aurais trop peur de m’y perdre.

Le 29 février, journée trop rare pour que l’on puisse l’oublier, je lève l’ancre par le bus de 7h30, direction Phnom Penh, et la messe mensuelle des coopérants suivie de la traditionnelle pizze partie. Comme d’habitude, je retrouve mes compères MEP, avec lesquels je pars le lendemain matin en « retraite spi », organisée par Bruno (séminariste à Bordeaux, et volontaire MEP en charge pour un an de la communauté catholique francophone de Phnom Penh). Pour le transport, nous avons affrété un lân touri, en fait un fourgon type familial, qui vient nous chercher à domicile. Nous embarquons à neuf, direction Kampot, à l’extrême sud du pays. En chemin, nous faisons étape à Chomka Tiêng, la mission du Père Olivier Schmitthaeusler (MEP et vicaire général à Phnom Penh). Là, à peu de choses près nulle part, le P. Olivier a développé une véritable zone d’activité, dont un lycée agricole et un atelier de soie sont les deux centres névralgiques. Seconde étape à la paroisse de Kampot, où nous récupérons le Père Denis (Québécois ordonné l’an dernier) et le Père Christophe (MEP) qui nous accompagneront pendant ces quatre jours.

Départ.




Pour le lieu de la retraite, après maintes tergiversations, ordres et contrordres, le choix s’est finalement porté sur Les Manguiers, très agréable propriété en bord de rivière et tenue par un Français marié à une Cambodgienne. Tout est ici aménagé pour les touristes : de petits bungalows de bois, sur pilotis et à l’architecture néo-suisse, sont loués à qui veut. Rien à r’dire : c’est très confortable, mais pas du tout cambodgien. Depuis l’autre rive, des montagnes donnent l’impression de se trouver sinon au bord du Lac de Côme, du moins ailleurs. C’est assez curieux. D’emblée, nous mettons les pieds sous la table, et ce premier déjeuner en dit long sur ce qui nous attend : après les entrées, les mets et les entremets de gambas, salades, frites, pattes de poulets grillées et autres délices, le plat de résistance, accompagné de son poisson sur réchaud, précède les fruits exotiques. C’est, je crois, ce qu’on appelle se taper la cloche. Après le déjeuner, baignade dans la rivière salée par la mer toute proche.

Déjeuner...





... au bord du Lac de Côme ?



... aux Folies Bergères ?



Partie de badminton (ndlr: écrasé par Dimitri 2-15/1-15).



Baignade (ndlr: c’est moi).



Ensuite, puisqu’il faut bien un peu de sérieux dans ce monde de barbares, nous nous attelons au thème de la retraite, à savoir l’espérance chrétienne au regard de Spe Salvi, la dernière encyclique du pape. Après la messe quotidienne, nous nous remettons à table. Rebelote, et je vous passe les détails.
Dimanche, le Père Denis nous a concocté une balade en montagne. Dimitri, encore estropié de la chute de la semaine dernière (lire ici), est voué à rester seul pour la journée. Nous partons donc à dix (huit volontaires et deux prêtres). Un bateau-navette, mis ici à la disposition des hôtes, nous fait traverser la rivière, et c’est parti pour quelque deux ou trois heures de marche. Au bout d’une demi-heure de bitume, nous atteignons enfin la montagne, et commençons à nous enfoncer dans ses antres.

« Un bateau-navette, mis ici à la disposition des hôtes, nous fait traverser la rivière. »





Le Père Christophe, Bruno, le Père Denis, Antoine.



Montagne, nous voilà !





C’est de plus en plus touffu. Le soleil tape. C’est de plus en plus beau aussi. Nous pénétrons peu à peu une sorte de jungle, attaquée sans demi-mesure par les tronçonneuses. Nous traversons des plantations de bananiers à flanc de monts. Les silhouettes des derniers grands arbres dégueulent leurs lianes. Le décor est somptueux; on se croirait dans un film sur la Guerre du Vietnam. Au fond de la vallée, saison sèche oblige, la rivière a tout juste de quoi couler péniblement. En surplombe, nous nous engouffrons dans des sentiers introuvables. À défaut de Viêt-Congs en cavale, nous tombons sur une bande de Mowglis, ravis de voir des Blancs ici-haut. Ils nous suivront jusqu’à la chute d’eau au pied de laquelle le P. Denis a prévu de déjeuner. Et quelle chute ! Si le débit est un peu maigrichon, s'il n'y a guère plus de pression qu'à ma douche matinale, le site est déconcertant. En arc de cercle tout autour d’un grand trou où nous pouvons sauter sans danger, la masse rocheuse d’où cascade cette eau des cimes a des airs de coeur de cathédrale. Nous nous y agrippons. Nous l’escaladons. Et nous en plongeons. Rien à r'dire : c’est extra. Une fois le topo du Père Christophe écouté et les sandwichs avalés, les Bronzés ayant ostensiblement marqué leur dernier passage, nous procédons à l’opération nettoyage du site, pour laquelle un feu sera notre meilleur allié.

« Les silhouettes des derniers grands arbres. »



Les pilleurs de forêt débitent les arbres sur place, et descendent le tout à la seule force de leurs bras.



« ... des airs de coeur de cathédrale. »



Les Mowglis.



« Nous nous y agrippons. Nous l’escaladons... »



« ... et nous en plongeons. » :

Le Père Denis.



Antoine.



Moi.



Nous redescendons dans la foulée, mais cette fois-ci nous scindons l’équipe en deux. Les uns reviennent sur leurs pas ; les autres - dont moi - décident de descendre par la rivière. Pendant plus d’une heure et demie, nous sautons de pierre en pierre, et de bloc de roche en bloc de roche, le tout au milieu d’une nature étourdissante. Ça frappe les yeux et tire les muscles.
De retour aux Manguiers, nous retrouvons notre convalescent, fatigué d’avoir dormi toute la journée. De tout le reste de la retraite, nous ne sortirons plus d’ici. Sans surprise, la large part du programme est consacrée à la méditation sur l’espérance chrétienne. Un tant soit peu dedans, et poussé par les questions que reprend l’encyclique, je m’abandonne une fois encore à la réflexion sur le sens de tout ça, et butte sur le marchepied de la limpidité. Tout m’est si confus.

La retraite se poursuit donc entre topos, réflexions et débats d’un côté, repas pantagruéliques, baignades et siestes de l’autre. Comme prévu, nous rentrons à Phnom Penh mardi en fin de journée, repus de ce temps de partage. À la maison des coopérants, l’aiguille de la balance de l’entrée m’indique que j’ai pris quatre kilos en quatre jours. Vu que j’en avais perdu dix depuis mon arrivée au Cambodge, me voilà à -6 [ndlr : à l’heure qu’il est, vu que j’ai repris mon régime épiscopal depuis maintenant quinze jours, j’ai bien dû redescendre à -10].

Mercredi 5, me voilà enfin à Kompong Cham, pour une semaine de boulot qui s’annonce courte. Au final, je ne l’ai même pas vue passer. Samedi matin, Dimitri débarque de Prey Vêng avec Damo, lequel a été prié par Mgr de venir à la grande réunion interdiocésaine des catéchistes qui a lieu à l’évêché pendant trois jours. Que de monde. Environ cent personnes, venues de tout le Royaume. Ma tranquillité en prend un sacré coup. M’enfin. Week-end malgré tout pépère, au bord du Mékong et dans un bout de monde qui a su m’apprivoiser.

Ma semaine s’achève ici. Je ne m’étalerai pas davantage sur ce point.
Néanmoins, veuillez lire ci-dessous mon second rapport trimestriel, et qui fait suite à celui du mois de novembre (lire ici) :



Je suis un bateau de fortune (2)



Six mois. Cent quatre-vingt-trois jours. 4392 heures. 263520 minutes. 15811200 secondes. Au gré des courants et contre-courants, j’ai donc fini par franchir le cap de la moitié de ma mission. De mémoire de marin, la mer avait rarement été aussi calme et les vents si généreux. Notons que le contournement de l’Ile-aux-Ennuis a été plus facile qu’annoncé. Le temps lui-même y a mis du sien : il est passé à toute allure. Kompong Cham, l’embarcadère où je suis amarré depuis maintenant tout ce temps, a pour première qualité d’être paisible. Avec le temps, je m’y suis fait. Et pour cause : il y fait bon vivre. Son climat se prête assez bien à une vie de bateau. J’y ai même découvert que le bonheur est apparemment plus simple que ce à quoi je m’attendais jusqu’alors. En fait, et pour ne rien vous cacher, j’apprécie mon port d’attache. J’apprécie ses habitants. J’apprécie ses quais, aux aménagements commodes à l’entretien des navires.

Côté mission, ce n’est pas mal du tout. Naturellement, si sur le papier la comptabilité ne fait rêver personne - du moins, je suppose ! -, j’ai appris à la regarder d’un oeil nouveau. Je lui consens même un intérêt, fût-il unique : celui de pouvoir dire en quelques clics qui dépense quoi. En soi, je vous l’accorde, ça ne casse pas des briques. Mais, au moins, ça a le mérite de nous aider pour les budgets, qui nous aident à leur tour pour les demandes de fonds. Sans ces demandes, pensez-vous !, l’argent n’arriverait pas, et la machine aurait bien du mal à tourner. Et oui, c’est comme ça, où que l’on soit, quel que soit celui ou ce pour quoi l’on travaille, l’argent règne en maître. Qu’on le veuille ou non, on lui doit une bonne partie du tout.

Voilà donc un aperçu de ma vie de bureau, toujours partagée avec Primprey, ma collègue Khmère. Je récapitule : un peu de saisie, et le reste en rapports financiers et autres dossiers de demandes de fonds.

Pour le reste de ma vie de volontaire, je continue de mettre le cap chaque jour sur Phum Thmey pour mon cours d’Anglais. J’aime cette sortie en mer quotidienne. J’aime ce village. J’aime mes élèves. En outre, de temps en temps, je donne un cours de Français à Kompong Cham, avec deux ou trois élèves tout au plus. À propos : le Français est une langue de barbares dont la seule règle impérissable est qu’elle est principalement faite d’exceptions. Le soir, à 6 h, je fais également l’apprenti prof d’Anglais avec comme élèves deux résidentes de l’évêché.

Sans même tenir compte des autres activités plus ponctuelles, tout cela m’occupe bien. Tout cela, je crois, m’occupe sainement. Je ne sors des eaux territoriales finalement qu’assez peu, et perds même rarement la côte de vue. Curieusement, ce n’est pas pour me déplaire. Ne m’étais-je pas dit au départ : « c’est clair, je mettrai toutes voiles dehors dès que je le pourrai » ? Que nenni. La crique dans laquelle je suis tombé a beau être escarpée, elle n’en est pas moins confortable. Et je souhaite à tout le monde de goûter un jour à son fond. Son fond ? C’est le Mékong qui se vide, dévoilant toujours plus ses sables, et donnant ainsi à la ville des airs de cité balnéaire. Ce sont des alentours enchanteurs. Ce sont des paysages beaux à m’émouvoir. Et ce fond a une double particularité ô combien appréciable : suffisamment reclus pour s’y sentir ailleurs, il est tout autant développé pour ne pas s’y sentir coupé du monde. Un juste milieu entre archaïsme et modernité, entre désuétude et progrès. Un coin de monde qui a su me séduire, et avec lequel je m’entends plutôt bien.

En somme, rien de vraiment neuf depuis la dernière fois. C’est signe que ma mission a été bien délimitée au départ, et que si soubresauts il y a, ils ne me font pour le moment pas chavirer. En dépit de leurs caprices, les flots cambodgiens continuent coûte que coûte de me porter. Au loin, je garde les yeux fixés sur les petites et grandes lueurs qui m’indiquent toujours et partout la voie à suivre et me restent autant de phares dans l’existence. Rassurez-vous ou non, si ma coque s’est offerte un coup de peinture, je n’ai pas changé. Je suis le même bateau qu’à l’accostage, toujours porté par des eaux peu à peu apprivoisées. Les vents d’ici me sont de moins en moins barbares, et je les sens me pousser vers je ne sais quoi d’impalpable, vers ce quelque chose intangible qui m’a fait reprendre la mer en août dernier. Quoiqu’il advienne, loin des docks qui m’ont vu naître, je peux d’ores et déjà m’attendre à ce que ma cargaison au retour soit un peu meilleure que celle avec laquelle je suis arrivé, et que je n’ai toujours pas fini de décharger. Je vous demande encore un peu de temps. À ma poupe, les dockers locaux sont à pied d’oeuvre et, jours et nuit, travaillent à m’agencer. Il n’empêche : si des conditions météo favorables me font de fait espérer arriver à l’Ile de Pâques sans encombres, je reste à l’affût des vagues et des vents, des pirates et des calamars géants. En quelque sorte : je n’oublie pas que je suis un bateau de fortune.


- FIN -

Et pour pensée de la semaine, un extrait d’Anna Karénine, de Tolstoï [trad. Henri Mongault]. Il s’agit d’une conversation entre Vronski, amant d’Anna Karénine, et Serpoukhovskoï, un de ses camarades de promotion, promu entre-temps général et dont la carrière rapide travaille quelque peu Vronski lui-même :

- "Moi aussi, reprit-il, j’ai été tenu au courant de tes faits et gestes, mais pas seulement par ta femme. Tu me vois très heureux, et nullement surpris de tes succès. J’attendais plus encore.
Serpoukhovskoï sourit de nouveau : cette opinion le flattait et il ne voyait pas de raison de le dissimuler.
- Quant à moi, dit-il, je n’espérais pas tant. Je suis vraiment très satisfait. L’ambition est ma faiblesse, je l’avoue sans fard.
- Tu ne l’avouerais sans doute pas si tu réussissais moins bien.
- Je ne pense pas, dit Serpoukhovskoï toujours souriant ; sans l’ambition, vois-tu, la vie vaudrait peut-être encore la peine d’être vécue, mais elle serait bien monotone. Je ne crois pas me tromper, il est possible que je possède les qualités nécessaires au genre d’activité que j’ai choisi, et qu’entre mes mains le pouvoir, si jamais il m’est donné de jouir d’un pouvoir quelconque, soir mieux placé qu’entre celles de bien des gens de ma connaissance. Voilà pourquoi plus j’approcherai du but, plus je serai content, ajouta-t-il avec un air de suffisance béate.
- C’est peut-être vrai pour toi, mais pas pour tout le monde. Moi aussi j’ai autrefois pensé comme toi, mais aujourd’hui je ne trouve plus que l’ambition soit le seul but de l’existence.
"

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